La récente visite du Premier ministre libanais Nawaf Salam en Syrie a revêtu une forte portée symbolique… mais peu de résultats concrets. Tandis que Beyrouth a présenté ce déplacement comme un jalon diplomatique, Damas s’est contentée d’un simple communiqué sur le site du ministère syrien des Affaires étrangères, annonçant une rencontre entre le président intérimaire Ahmad Al-Sharaa et Salam.

Ce n’était pas une première : l’ancien Premier ministre Najib Mikati s’était déjà rendu officiellement en Syrie, mais sa démarche, sans coordination avec Riyad, lui avait coûté le soutien saoudien et, avec lui, son avenir politique. La visite de Salam, elle, intervient après une rencontre entre les ministres de la Défense libanais et syrien, organisée sous l’égide du prince héritier Mohammed ben Salmane.

Les attentes libanaises

Le Liban est arrivé à Damas avec une liste d’exigences : contrôle accru des frontières pour freiner la contrebande, révision des accords bilatéraux, clarification sur le traité de fraternité et de coopération, sort des détenus syriens dans les prisons libanaises et des disparus libanais en Syrie. Salam a évoqué l’ouverture d’une nouvelle page, misant sur l’élan saoudien pour sceller un accord avec Al-Sharaa.

La seule avancée annoncée fut la création d’un comité ministériel chargé d’examiner les accords signés. Mais aucune suite concrète n’a été donnée. Il apparaît même que le gouvernement libanais n’a jamais sérieusement étudié ces traités ni engagé de révision juridique.

L’agenda de Salam s’est concentré sur deux dossiers brûlants : les frontières et les réfugiés. Des questions qu’il a soulevées, mais sans entrer dans le fond avec Al-Sharaa. Il est rentré à Beyrouth les mains vides, sinon avec quelques promesses générales de poursuivre le dialogue.

Damas ne s’engage pas

D’un point de vue politique, la visite portait l’empreinte saoudienne. Mais Salam n’a obtenu aucun engagement ferme sur le contrôle des frontières. Al-Sharaa sait pertinemment que les réseaux de contrebande persistent, bien qu’ils aient migré du côté de la Bekaa vers le nord du pays. La communauté internationale, elle, insiste pour que le Liban sécurise la zone de Baalbek-Hermel, point sensible pour le trafic d’armes.

Pas d’engagement non plus sur le dossier des réfugiés syriens, que Damas considère comme un fardeau prématuré. En proie à une crise économique étouffante et toujours visée par des sanctions internationales, la Syrie refuse de s’engager sur un retour des déplacés tant que l’étau des sanctions n’est pas desserré — notamment en l’absence de reconnaissance américaine du régime d’Al-Sharaa.

Une manœuvre saoudienne, une marge de manœuvre limitée

Selon des sources politiques libanaises, la visite de Salam a été initiée sur consigne directe de Riyad. L’Arabie saoudite veut encadrer les relations syro-libanaises et renforcer son influence politique dans les deux pays. La formule est bien connue : celui qui gouverne la Syrie tient aussi les rênes du Liban — et inversement — tant les deux États sont liés par une histoire d’interférences politiques et sécuritaires.

Mais la relation reste embourbée. Malgré le coup d’éclat diplomatique, la visite s’apparente à une opération de communication — sans véritable retentissement dans les médias ni impact tangible sur le terrain.

En réalité, Damas, encore isolée diplomatiquement, n’a ni les moyens ni l’intérêt de faire des concessions. Les traités existants lui sont profitables, et les promesses sur les réfugiés paraissent hors de portée. Le Liban reste confronté à une frontière poreuse et à une pression démographique insoutenable.

Une relation à restructurer

La normalisation des relations syro-libanaises exige bien plus qu’une visite ponctuelle. Une refonte réaliste passerait d’abord par le traitement du dossier des réfugiés — devenu une bombe sociale et politique au Liban —, puis par une coopération sécuritaire sérieuse sur le terrain. Ce qu’il faut, c’est une relation d’égal à égal, fondée sur une diplomatie active, et non sur une soumission unilatérale.

Mais cet objectif reste conditionné à l’émergence d’une Syrie stable et reconnue. L’implication saoudienne est un signal positif, mais c’est Washington qui tient la clé du dossier.

Des rumeurs évoquent une rencontre possible entre Donald Trump, le prince héritier saoudien, et les présidents syrien et libanais, à l’occasion d’une future visite de Trump à Riyad. Que ce sommet ait lieu ou non, la simple venue de Trump dans le Golfe pourrait raviver les discussions sur la Syrie, le Liban et leurs relations croisées — à condition, bien sûr, qu’il accepte de reconnaître Ahmad Al-Sharaa.