Le village de Moura, au Mali, n’a pas encore retrouvé son équilibre près de trois ans après que des mercenaires russes de Wagner et des soldats maliens y ont massacré plus de 300 civils au nom de la lutte contre les djihadistes. Les drapeaux de Daech flottent maintenant dans les hameaux voisins. « Les soldats du gouvernement et les milices nous ont dit qu'ils nous protégeraient », confient les habitants « qui sont maintenant à la merci des terroristes qui sont de retour, et qui sont même pires que les soldats ».

C'est la nouvelle crise africaine : une crise où la défaillance des États, les catastrophes climatiques et les manœuvres cyniques des puissances mondiales se conjuguent pour créer un terrain fertile pour le terrorisme. Alors que Daech perd du terrain au Moyen-Orient, ses affiliés africains se multiplient, transformant le Sahel, l'Afrique de l'Ouest et le cœur du Congo riche en minéraux rares, en futur champ de bataille mondial. Le problème ne se résume pas à une simple situation d’extrémisme. C'est une tragédie géopolitique, alimentée par des interventions étrangères qui ont dégénéré, par le pillage des ressources et une génération de la population abandonnée par ses gouvernements.

Le Sahel : zone de choc entre les puissances étrangères et les djihadistes

Le Sahel, une ceinture grillée par le soleil qui s'étend en travers de l'Afrique, est devenu le cimetière des ambitions étrangères. La « guerre contre le terrorisme » menée par la France, qui a duré dix ans, s'est effondrée en 2022, laissant derrière elle un ressentiment dans les rangs de la population et de ses victimes civiles et le sentiment que la France se souciait davantage des mines d'uranium que de la vie des Maliens. C'est dans ce vide qu'a investi le groupe russe Wagner, une armée de mercenaires de l'ombre promettant à la junte militaire malienne des victoires rapides contre les djihadistes. Au lieu de cela, il a laissé derrière lui des fosses communes.

Cette politique de la terre brûlée pratiquée par Wagner – incendier les villages, traiter les éleveurs peuls comme étant des « terroristes » – a rebondi contre lui en un effet spectaculaire. L'État islamique au Grand Sahara, l’EL se présente désormais comme le défenseur des communautés marginalisées. « Les Russes nous attaquent ; l'armée vole notre bétail. Daech nous rend justice », déclare un éleveur du Burkina Faso, qui connait l’exode de deux millions de personnes.

Pendant ce temps, les États-Unis s'accrochent à une stratégie antiterroriste désuète. Le Niger, qui abrite une base de drones américains de 110 millions de dollars, était autrefois le point d'ancrage de Washington au Sahel. Un coup d'État en juillet 2023 renversa un président soutenu par les États-Unis. La nouvelle junte, courtise Wagner, et expulse les troupes occidentales. On en tire une leçon : La militarisation sans gouvernance engendre le chaos.

Afrique de l'Ouest : La crise nigériane et la menace voisine

Au Nigeria, le géant endormi de l'Afrique, le gouvernement semble avoir pratiquement livré le nord-est à Daech. Près de 15 ans après le début de l'insurrection de Boko Haram en 2009, trois millions de personnes dans l'État de Borno au nord dépendent de l'aide alimentaire de l'ONU. Les écoles sont en ruines. C'est dans ce vide que Daech s'expanse en Afrique de l'Ouest et dirige un gouvernement fantôme, imposant les agriculteurs et pratiquant la justice dans les conflits fonciers.

Mais le véritable danger se situe au sud. Les djihadistes frappent désormais à moins de 96 kilomètres des côtes béninoises, où les ports sophistiqués assurent 80 % du commerce ouest-africain. La France, encore échaudée par son passé colonial, hésite à intervenir. Des pays côtiers comme le Ghana et la Côte d'Ivoire sont livrés à eux-mêmes. Un diplomate basé à Dakar prévient que « Si Lagos et Abidjan sont touchés, le transport maritime mondial et les marchés du cacao connaîtront des crises ».

La Chine, premier partenaire commercial de l'Afrique, observe la situation avec précaution. Son initiative «la Ceinture et la Route » a permis de construire les chemins de fer du Nigéria, mais elle évite toutefois les zones de conflit. Ce pragmatisme commercial pourrait être de courte vue.

Afrique centrale : Minerais sanglants et piège climatique

Dans les jungles de l'est du Congo, Daech prospère de la manière la plus meurtrière en raison de l’addiction mondiale a la technologie. Les Forces démocratiques alliées, groupes islamiques extrémistes combattent le gouvernement a l’Est du pays. Elles se sont rebaptisées Daech-RDC, et financent leur règne « terroriste » grâce à l'extraction illégale de l'or. Un rapport de l'ONU a retrouvé la trace de l'or dans les raffineries de Dubaï, puis sur les marchés chinois et indiens, où il est manufacturé en bijoux ou en microcircuits pour les industries technologiques. Lorsque des campagnes militaires ougandaises et américaines sont organisées, les bandes armées locales de Daech se cachent dans les rangs des populations locales pour éviter d’être ciblées.

Le changement climatique amplifie la catastrophe. Au Nigeria et au Mali, les sécheresses prolongées opposent agriculteurs et éleveurs, créant des viviers de jeunes en colère et sans emploi. Au Congo, la déforestation pousse des communautés désespérées dans l'orbite de Daech-RDC. Les populations locales se plaignent du fait que les gouvernements envoient des soldats pour les tuer au lieu de leur assurer nourriture et argent.

Apathie mondiale et catastrophes locales

Jamais la communauté mondiale n’a réagi comme il se doit comme si elle rejetait la victoire. La Russie oppose son veto aux sanctions de l'ONU contre la junte malienne tout en armant Wagner. La Chine à son tour, bloque les résolutions condamnant la contrebande des minerais au Congo. Les États-Unis ont déjà coupé leur aide au Niger après le coup d'État, le jetant dans les bras de Moscou. Et l'Europe, obsédée par la crainte des flux migratoires, finance les dictatures pour mettre un terme aux bateaux de la mort au lieu de traiter les racines profondes du problème.

Mais les risques dépassent la compréhension des décideurs politiques. La population africaine doublera d'ici 2050, dont 80 % auront moins de 35 ans. Si elle est confrontée au chômage et à la répression, cette jeunesse deviendra le vivier de recrutement des nouveaux combattants de Daech.

Comment sortir de la tempête ?

Les solutions existent, mais elles nécessitent l’acceptation de vérités peu rassurantes :

- Un premier pas consiste à imposer des sanctions contre les acheteurs des minerais qui alimentent les conflits, a commencer par les marchés de l’or de Dubaï jusqu’aux entreprises technologiques chinoises.

- Un deuxième pas consiste à reconsidérer la lutte contre le terrorisme et à cesser d’utiliser des mercenaires internationaux pour mener des guerres. Le plus important est d’investir dans la police communautaire et les écoles, et non dans les drones et les machines de guerre.

- La troisième étape consisterait à financer des fermes solaires au lieu d’allouer de gros budgets pour financer les armées. Les bergers de la région du Sahel ne rejoindraient pas Daech s’ils disposaient de pompes à eau alimentées par l’énergie solaire.

Avec le Sahel qui s’embrase, un écho se répercute du Mali au Mozambique : « les crises africaines ne peuvent plus être contenues ». La négligence de la communauté mondiale a permis à Daech de bâtir un nouveau califat, non pas dans des grottes du désert, mais sur les ruines des États en faillite. Le temps des demi-mesures est révolu. L’échec signifie ici la propagation de l’incendie.