Ce qui se passe aujourd’hui en Syrie n’est plus une simple question de petits détails. Le pays, en équilibre précaire, fait face à un avenir incertain, sans calendrier clair pour la transition en cours ni pour les fondations sur lesquelles il se stabilise. La récente désignation de la Syrie comme un État islamique dans le projet de constitution est passée presque inaperçue. Le pays est passé d’un régime laïc à un régime islamique, bouleversant les équilibres régionaux et internationaux.

L’Iran, qui avait exercé une influence considérable ces dernières années, a été évincé de la scène. La Russie, bien que réduisant sa présence, ne s’est pas totalement retirée, et il reste incertain quel prix elle exigera pour avoir facilité le départ de Bachar al-Assad dans les conditions où il s’est produit.

Pendant ce temps, de nouveaux acteurs façonnent le paysage syrien, au premier rang desquels la Turquie. De son côté, Israël poursuit son expansion territoriale, avançant vers Damas. À l’intérieur de la Syrie, les affrontements violents entre les forces du régime et les factions armées se poursuivent. À la frontière libano-syrienne, les escarmouches répétées et diverses formes de contrebande restent monnaie courante.

La Syrie a toujours eu un impact direct sur le Liban, renforçant l’adage bien connu : « Si la Syrie va bien, le Liban va bien. » Sous Bachar al-Assad, et avant lui son père Hafez, la Syrie a servi de rempart aux mouvements de résistance, fournissant un soutien essentiel ainsi qu’un corridor logistique pour l’aide financière et militaire. Politiquement, durant la présence syrienne au Liban, Damas dictait les grandes décisions, de la nomination du président libanais à la formation des gouvernements. Cet équilibre a changé après l’assassinat de Rafik Hariri, modifiant encore une relation déjà fragile entre les deux pays.

Dans un tournant spectaculaire, Ahmad Al-Sharaa (alias Abou Mohammad al-Jolani) est nommé président de la Syrie après la fuite de Bachar al-Assad, plongeant le pays dans une transformation radicale. Cette décision a été largement saluée au Liban. Parallèlement, Joseph Aoun a été élu président du Liban et un gouvernement a été formé, mais les relations bilatérales restent distantes malgré des dossiers urgents, notamment la crise des réfugiés.

Ces questions ont été brièvement abordées lors d’une rencontre protocolaire en marge du sommet arabe en Égypte entre le président libanais Joseph Aoun et le président syrien Al-Sharaa. Il est intéressant de noter que Aoun, en tant que commandant de l’armée libanaise avant son élection à la présidence, avait auparavant mené la bataille contre Daech et les forces d’Al-Jolani à la frontière.

Le Liban suit la situation en Syrie avec inquiétude. L'ascension de Al-Sharaa et son contrôle sur plusieurs villes ne marquent pas la fin de la crise. De violents affrontements persistent dans plusieurs régions syriennes. La frontière libano-syrienne reste un point chaud, tandis qu’à l’autre extrémité, les incursions israéliennes en profondeur sur le territoire syrien s’intensifient.

Soutenu par les États-Unis, Israël cherche à établir une zone tampon s’étendant du sud du Liban vers la Syrie, se rapprochant désormais de la capitale syrienne.

Des informations en provenance de Syrie font état d’une instabilité croissante, avec des combats en cours à Deraa, Soueïda et d’autres régions, sous prétexte de traquer les vestiges de l’ancien régime. Des éléments étrangers ont pris des responsabilités au sein de l’État, tandis que la question des frontières entre le Liban et la Syrie reste en suspens.

La Syrie est devenue un champ de bataille pour les luttes d’influence géopolitique. La Turquie et Israël s’affrontent pour le contrôle, avec un axe Qatar-Arabie saoudite-Turquie d’un côté, et une stratégie américaine et israélienne de l’autre. La Turquie se positionne comme le protecteur naturel de la Syrie, tandis que l’Arabie saoudite cherche à placer Al-Sharaa sous son influence. De son côté, le Qatar a consolidé son rôle de soutien à la révolution syrienne, influençant la phase de transition actuelle.

Quelle est la suite des événements ? Les analystes spécialisés sur la Syrie prédisent une explosion imminente, en raison de la résistance à l’expansion de l’influence turque. Historiquement, celui qui contrôle la Syrie exerce également une influence décisive sur le Liban et la frontière orientale avec Israël.

Le président américain Donald Trump, qui a évoqué l’idée de vider Gaza de sa population pour y construire des hôtels et des complexes touristiques, pourrait appliquer une logique similaire à la Syrie, notamment au plateau du Golan, au mont Hermon et à la zone tampon recherchée par Israël.

Les grandes questions restent en suspens : l’Iran acceptera-t-il ces développements, alors que son conflit avec la Turquie sur la Syrie s’intensifie ? L’Arabie saoudite renonce-t-elle à son rôle de référence sunnite au profit de la Turquie ? Combien de temps Al-Sharaa restera-t-il au pouvoir ? Quel avenir pour les Druzes de Syrie et leurs liens avec le Liban et Israël ? Par ailleurs, la Russie maintient sa présence, son aviation ayant récemment survolé Jableh et la campagne de Lattaquié pour empêcher les hélicoptères des forces d’Al-Jolani de s’approcher de la base aérienne de Hmeimim.

Une seule certitude demeure : le Liban ne pourra pas rester à l’écart des bouleversements syriens, compte tenu de leur proximité géographique et de leur interdépendance politique. Le véritable défi réside dans l’absence d’une vision stratégique libanaise pour gérer cette relation complexe, que ce soit en matière de sécurité, de politique ou de frontières communes. Mais surtout, la crise des réfugiés constitue une bombe à retardement, alors que la ministre des Affaires sociales insiste sur un retour volontaire de ces derniers en Syrie. Reste à savoir si ce plan se concrétisera.