CHRONIQUE. Le président de la République, écoutant essentiellement lui-même, paraît bien éloigné des préoccupations quotidiennes des Français et ignorant des menaces qui pèsent sur la nation.
Valeurs Actuelles
Dans des propos énigmatiques, le président de la République annonce un « rendez-vous » avec la nation, début 2024. Il ajoute que le rôle qu’il s’est assigné est de maintenir l’unité des Français tout en invitant à constater « comment le pays se tient ». Il faut essayer de comprendre ce que ces mots veulent dire. À première vue, on ne peut s’empêcher de ressentir une forme d’« emporte-pièce » professé à la va-vite dans cette expression présidentielle. Ne serait-ce que parce qu’il n’a pas à s’assigner lui-même un rôle de garant de la cohésion dans la mesure où ce sont les Français qui, mécaniquement, par le ressort de la souveraineté, lui attribuent cette mission.
Le président est comptable par délégation et non par auto-attribution de ce devoir. La manière dont il ramène à sa seule volonté cette tâche témoigne de sa difficulté à saisir ce qui devrait en toute humilité démocratique le mouvoir. Le chef de l’État n’a pas à décider de son rôle ; sa feuille de route fonctionnelle lui est délivrée exclusivement par le peuple. Ce faisant, cette adresse subliminale en dit long en quelque sorte sur la psyché d’Emmanuel Macron. C’est son « moi » qui tend à parler, dans un exercice hypertrophiant où sa personnalité fuit de partout quand il devrait s’efforcer de la contenir pour mieux incarner sa fonction. Le problème d’Emmanuel Macron est qu’il est plus Macron que président et qu’on le voudrait certainement plus président que Macron.
Un président peu susceptible de se raccorder au corps social
Cette difficulté à s’effacer pour mieux habiter l’armure présidentielle génère cette tension permanente qui est au principe de la perception d’un président peu susceptible de se raccorder au corps social, à ses préoccupations et à ses attentes. Un sondage récent livrait qu’à peine un quart des Français le considère comme proche de leurs aspirations, c’est-à-dire peu ou prou son étiage électoral de premier tour. Cet isolement est, certes, renforcé par cette tendance naturelle qui voit tout président réélu échapper à proportion que le second mandat se décline à la bonne appropriation du réel. Le phénomène fut observable sous de Gaulle, sous Mitterrand et sous Chirac. Il est encore plus frappant sous Emmanuel Macron, tant celui-ci, dès le départ, a porté une vision aussi irénique que biaisée de la réalité de notre société dont il a relativisé les fractures et exalté la prétendue richesse des sédiments communautaires dans une vision très anglo-saxonne de la cité.
Il prolonge cette lecture lorsqu’il prétend que le pays « se tient », s’appuyant sans doute sur une comparaison consolante avec les modèles britannique et américain qui se sont vus, depuis le drame israélien du 7 octobre, confronter non sans dérapages aux contradictions exaspérées de leur propre logiciel. Pour autant, il laisse de côté l’accumulation de signaux et d’actes qui, au sein même de la nation, se multiplient : séparatisme, montée multiforme des insécurités, reflux de l’acceptation de nos principes républicains et laïques, dégradation de notre pacte social. Les prises de position souvent paradoxales et mouvantes du président sur bien des sujets comme, entre autres, le conflit au Proche-Orient, l’application de la laïcité, le rapport à l’identité nationale laissent entrevoir un chef de l’État plus otage des fractures internes de la France que raccommodeur ou assembleur de ces agrégats dispersés. Et ce qui reste d’unité dans notre « vivre-ensemble » tient plus à l’élan porteur de notre héritage historique qu’à l’action des pouvoirs publics.
Teasing présidentiel
Il reste à saisir ce qu’entend le chef de l’État quand il promet un « rendez-vous » avec la nation au seuil de 2024. Ce teasing d’un président publicitaire n’est pas sans rappeler d’autres initiatives comme le Conseil national de la refondation, outil en voie d’obsolescence, ou les réunions de Saint-Denis, grande initiative très relative de la fin août… À moins de proposer un vrai référendum sur un enjeu considéré comme existentiel par nos compatriotes ou de dissoudre une Assemblée nationale sans majorité, on voit mal à ce stade autre chose dans la parole présidentielle qu’un nouvel artefact de communication pour gagner du temps et mimer une maîtrise des événements.
Or, on ne gouverne pas en multipliant des annonces en forme de suspense. Emmanuel Macron aime à jouer, vraisemblablement. Un trait de caractère, encore une fois… Or, gouverner, tant s’en faut, n’est pas jouer !