TRIBUNE. Pour Alain Leroy, président du groupe d’études France-Palestine au sein de l’Observatoire des Français émigrés (OFE), ni les Frères musulmans, matrice intellectuelle du Hamas, ni le mouvement terroriste palestinien ne risquent rien sur le plan judiciaire parce qu'ils ont détourné à leur profit et perverti nos propres règles de droit.

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La Cour pénale internationale (CPI) ne jugera pas le Hamas pour son pogrom réalisé le 7 octobre 2023. Ce crime contre l’humanité à vocation génocidaire, sans précédent depuis la Shoah, semble échapper à la conscience du secrétaire général de l’Organisation des Nations unies. Attendons la qualification juridique par les magistrats de ce tribunal de La Haye toujours timide à ce jour.

On retient la première résolution adoptée en urgence par l’Assemblée générale des Nations unies, le 27 octobre 2023, pour interpeller la CPI sur l’occupation des territoires palestiniens. Cette résolution contre-feu, aussi inexacte qu’inappropriée au regard des circonstances, devrait marquer la fin de la légitimité de l’Onu pour faire juger du pire des hommes comme des États. Le secrétaire général de l’Onu et sa vice-secrétaire générale, Amina J. Mohammed, dont chacun sait sur quels mécènes elle pourra compter au terme de son mandat, auront immédiatement osé qualifier le pogrom du Hamas de crimes de guerre (sic).

Cette qualification confortable, lâche sinon cynique, les juge davantage que son objet, tout comme les dirigeants qui auront fait voter pour cette résolution honteusement opportuniste. Si la Cour de La Haye peut botter en touche au prétexte qu’Israël ne la reconnaît pas, les véritables démocraties devraient désormais la botter tout court hors du champ de la justice des hommes comme des États.

Si la CPI garde en son sein un membre, l’État de Palestine en l’occurrence, dont l’une des entités politiques consacrées prévoit dans sa charte constitutive la destruction de l’État d’Israël et s’est employée à programmer et à réaliser un massacre de masse avec la barbarie que l’on sait, quelle légitimité pour ne pas dire quel crédit peut-elle continuer à avoir. Peu importe que la CPI préfère s’inquiéter des bombardements à Gaza plutôt qu’à une réplique de l’Holocauste avec publicité numérique à la clé, ce « machin judiciaire », aurait dit le général de Gaulle, n’est pas reconnu par le principal bailleur de fonds de l’Onu, autrement dit l’Oncle Sam, pas plus qu’il ne l’est par l’Inde, la Chine ou la Russie.

On ne va pas convoquer le sempiternel « état de droit » en songeant à la région palestinienne de Gaza, parfaitement autonome depuis 2007, quoique sans élection depuis dix-sept ans mais contrôlée par une organisation qualifiée de terroriste par l’Union européenne et sous perfusion financière du Qatar. Le Qatar qui permet au passage la meilleure fermentation de l’islamisme consacré des Frères musulmans, doctrine officielle de l’émirat et dont le dernier grand prédicateur qatarien, Youssef al-Qardaoui, est mort en 2022.

Ce dernier ne se privait jamais de rappeler à quel point la démocratie et les droits de l’homme sont incompatibles avec l’islam. Il pensait le Hamas comme le cheval de Troie dans l’entité politique de l’État de Palestine, idéalement membre de toutes les agences onusiennes. Si l’ennemi sait user du droit international, c’est parce qu’il sait que la hiérarchie des normes des pays de l’Union européenne joue en sa faveur. Rien de mieux que le droit international pour affaiblir les démocraties libérales et accessoirement nationales qui le portent au firmament.

Elles porteront aussi la responsabilité de leur perdition si elles ne le modifient pas dans le but de se défendre mieux contre tout ennemi de l’intérieur. Pour faire haut et court et paraphraser Lénine, les démocrates donnent la corde juridique aux islamistes avec laquelle ils les pendront. À regarder de plus près l’échafaud, pourquoi peu d’élus et d’observateurs se sont-ils penchés sur l’entrisme des Frères musulmans au Conseil de l’Europe, qui pourvoit aux nominations des juges de la Cour européenne des droits de l’homme ? À combien de reprises avons-nous pu constater le nombre d’islamistes ayant la faveur de cette juridiction quand les tribunaux nationaux s’étaient employés à valider leur expulsion du pays abusé.

Prenons aussi l’exemple de la Suisse, qui, il y a deux ans, voyait des associations inféodées aux Frères musulmans faire une campagne de terrain tous azimuts lors de la votation fédérale sur les modalités de désignation des juges fédéraux. Aucun journaliste n’a remarqué ou n’a voulu relever les équipées en abaya et niqab, avec sacs de propagande en bandoulière en faveur de cette réforme très opportune.

La diplomatakîya

La diplomatakîya est un concept naturel pour tout dirigeant fidèle aux préceptes d’Hassan el-Banna, le créateur de la confrérie des Frères musulmans que l’on pourrait appréhender comme une franc-maçonnerie inversée. Autrement dit, plutôt un salafisme rigoriste encravaté qu’un progressisme séculariste débraillé.

À ce jour, on peut considérer deux écoles de la takîya ou l’art de la dissimulation caméléonesque au sein de l’internationale frériste. À propos du Hamas, il y a ceux pratiquant un double langage sans filtre et décomplexé tel Erdogan, qui parle du Hamas comme d’un mouvement de libération, et les émirs du Qatar, qui n’en parleront pas ainsi mais n’en pensent pas moins.

Autant nous savons le manège de notre cheval d’Istanbul au sein de l’Otan, autant on sous-estime la manœuvre insidieuse du Qatar. Si d’aucuns cataloguent l’émirat dans le registre du djihad économique et médiatique, il est surtout la banque centrale du Hamas et un refuge cinq étoiles pour ses dirigeants. Dans le même temps, à Doha comme à Ankara, les réceptions des ambassadeurs occidentaux sont toujours un succès. La plus grande base américaine au Moyen-Orient avec près de 13 000 soldats demeure bien au Qatar. Il faut croire que le pétrole et le gaz n’ont d’odeur que lorsqu’ils sont russes.

Avant d’imaginer suspendre nos relations diplomatiques avec ces États que seuls le courage, la dignité, l’honneur et bien évidemment le désintéressement commandent, autrement dit des vertus bien relatives en politique, l’Autriche est le seul pays européen à avoir franchi le pas de l’interdiction des Frères musulmans. . Qu’attendent les autres pays des continents menacés pour en faire autant ? Sans parler de l’Égypte, de la Chine ou de la Russie où ces organisations islamistes sont non seulement interdites mais leurs prédicateurs méthodiquement neutralisés afin d’éviter tout débordement fatal.

Désorientés depuis la mort, l’an dernier, de leur guide Al-Qardaoui, la perspective de la signature des accords d’Abraham par de nouveaux États du Golfe dont l’Arabie saoudite avec l’État du peuple honni, il ne leur restait plus qu’à remobiliser la « rue arabe », partout où elle se trouve dans le monde. À la faveur d’un déclic cataclysmique et symbolique, celui des cinquante ans d’une humiliation militaire mal digérée, les Frères musulmans font se rejoindre sunnites et chiites pour aller au devant d’une nouvelle solution finale que le grand mufti de Jérusalem n’aurait pas désapprouvée. Ne pas oublier qu’en 2024, cela fera cent ans que Mustapha Kemal a aboli le califat. Erdogan adore aussi les symboles.