Chaque semaine dans Valeurs actuelles, M. de Rastignac raconte dans sa lettre les coulisses de la vie politique parisienne depuis sa fenêtre sur le XIXe siècle.

Valeurs Actuelles

Certains vous diront qu’il faisait chaud, mon cousin. Ils n’ont pas tort : pour m’être trouvé au stade de sioule la semaine passée, je puis vous confirmer qu’on y suffoquait. Le climat étant ainsi fait, je suis confus de vous en parler si souvent, qu’un août pluvieux se montre capable d’engendrer un septembre caniculaire. J’observais depuis le haut d’une tribune ce spectacle d’une foule où cohabitaient peu communément politesse et bruit, éducation et joie. Le monde de la sioule, disséqué cette semaine même dans vos pages de la Lanterne éclairée , demeure un profond mystère pour les modernes. Là où ces derniers cherchent le confort, il offre la douleur. Là où ces derniers prônent l’avènement de l’individu, il n’offre la gloire qu’au collectif.

Dans une arène aussi brûlante qu’un four à pain, un éminent comédien et de grands cuisiniers ont d’abord égayé le public avant la partie de sioule. Elle nous offrait là le théâtre d’un ancien temps, une mise en scène de la France d’avant. Tout bon conservateur aurait applaudi, ce que je fis malgré quelques défauts de scénographie.

Les enragés ont enragé, mon cousin. Ils oublièrent la sioule, ceux qui la pratiquent, leur victoire face à des combattants venus d’un lointain continent, et pestèrent contre cette France trop bien éduquée, pas assez colorée, et qui ose préférer chanter que vociférer.

​Je n’avais jamais prévu de tels lazzis

Là n’était pas le moment le plus politique de la soirée. En tant que chef de l’État de la contrée hôte de ce tournoi de sioule, M. de Marville prononça un bref discours. Je ne m’attendais nullement à des hourras. Mais je n’avais jamais prévu de tels lazzis.

Le stade s’était soudainement transformé en Chambre hirsute, un capharnaüm envahissait les rangées. Sans aucune forme de déférence à l’égard de leur premier représentant, des Gaulois bien réfractaires à son autorité lui manifestaient son hostilité. « Tais-toi ! », criait mon voisin. « Sans toi ! », renchérissait ma voisine.

Je ne suis pas homme à me satisfaire des meutes, mon cousin, et ce spectacle me plongea, je le confesse, dans un abîme de perplexité. Comment gouverner face à un peuple qui ne vous aime point ? Que cache le sourire énigmatique de M. de Marville ?

Rien ne semble l’atteindre, et il continue d’arborer l’air satisfait des hommes qui s’apprécient et ne connaissent pas l’ennui.

Lui seul manie les délices de la diplomatie

Je me suis rendu la semaine passée à l’Élysée pour tenter d’éclaircir mon esprit. C’est une maison toujours aussi bien rangée, où les gardes et les gouvernantes vous font assaut d’amabilité.

L’homme que je visitais avait un grand retard, pris par les affaires de l’État, mais se confondit en excuses avec une authenticité qui ne ment pas. Nous devisions ensuite de M. de Marville, dont mon interlocuteur vantait la gourmandise, et son corollaire, l’appétit. Ce qui se passe en dehors de nos frontières le passionne d’autant plus qu’il croit pouvoir interférer dans l’ordre du monde.

M. de Marville estime avoir eu des mots historiques en pays slave, à la fin du mois de mai de cette année. Il estime que les autres chefs d’État de notre continent ne tiennent pas leur rang, qu’il lui faut ourdir seul les conflits et que lui seul manie les délices de la diplomatie. En somme, en dehors de son pays, M. de Marville a le sentiment d’avoir une prise sur les affaires du monde, mon cousin. Il regarde le grand globe comme l’on admire une femme, mêlant la prudence et la délicatesse nécessaires dans la séduction à l’audace de la conquête.

Mais n’est-ce pas dérisoire d’être attendu avec des roses à La Nouvelle-Amsterdam, mon cousin, quand l’on ne récolte à Paris que fruits gâtés et légumes avariés ?