La récente révélation par l’Iran d’une tentative israélienne d’assassiner les chefs des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, ainsi que des hauts responsables militaires lors d’une réunion du Conseil suprême de sécurité nationale le 16 juin dernier, n’a rien d’un hasard. Cette annonce soulève une question centrale : le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou s’apprête-t-il à reprendre ses frappes contre l’Iran ?

Ce dévoilement survient, de manière hautement symbolique, à l’occasion du dixième anniversaire de la signature de l’accord nucléaire entre l’Iran et les États-Unis sous l’administration Obama — un accord dont Donald Trump s’est retiré en 2018. En révélant ce complot présumé, Téhéran envoie un message clair : souligner l’ampleur de l’entreprise israélienne visant à renverser le régime, au moment même où Netanyahou lançait une nouvelle campagne militaire contre l’Iran, le 13 juin. Pour l’Iran, il s’agit d’une escalade majeure qui durcit sa position et rend toute perspective de négociation encore plus lointaine, perçue désormais comme une reddition inacceptable après les frappes subies.

La guerre comme stratégie de survie

Alors que l’Iran se prépare à une guerre d’envergure, Netanyahou et les faucons de son gouvernement semblent miser sur une guerre permanente, tous azimuts. Pour eux, la guerre est autant une arme stratégique qu’un outil de survie politique. Mis en cause dans trois affaires de corruption majeures — incluant pots-de-vin, abus de confiance et fraude —, Netanyahou est parvenu à redorer son image de chef de guerre défendant Israël face à des menaces existentielles. Ce rôle lui a valu la sympathie de l’opinion publique et relégué ses affaires judiciaires au second plan. Le conflit en cours lui permet également de demander sans cesse le report de ses audiences, sous prétexte de priorités sécuritaires — une stratégie politique bien connue, qualifiée d’« effet du drapeau ».

Une trêve fragile

L’échange massif de frappes entre Israël et l’Iran a officiellement cessé le 24 juin, mais il ne s’agit pas de la fin de la guerre. Ce n’est que le début d’une trêve informelle, précaire, dans un contexte d’hostilité existentielle profondément enracinée entre les deux puissances.

Certes, les deux dernières années ont vu s’intensifier les affrontements militaires directs. Mais depuis la révolution islamique de 1979, le régime iranien s’est construit sur une idéologie farouchement anti-américaine et anti-israélienne. Cette hostilité fait partie de son ADN politique. En Israël, les experts analysent en profondeur la culture politique, historique et religieuse iranienne. Aucun doute ne subsiste à Tel-Aviv : les dirigeants israéliens sont convaincus que Téhéran cherche l’éradication pure et simple de l’État hébreu, si l’occasion se présente. Même les figures modérées de la gauche israélienne comparent régulièrement le régime iranien au nazisme, une rhétorique largement adoptée par la population, et qui a contribué à la popularité croissante de Netanyahou.

Pendant ce temps, les planificateurs militaires israéliens affinent leurs analyses des rapports de force, redéfinissent les objectifs stratégiques, et se préparent à l’éventualité d’un conflit de longue durée.

Les limites stratégiques

L’un des points faibles de Netanyahou réside dans les conséquences psychologiques et économiques des frappes iraniennes sur la population israélienne, peu préparée à une guerre d’usure prolongée — surtout sans un soutien américain clair. Donald Trump, bien qu’affichant un soutien verbal à Israël, est peu enclin à valider une guerre longue contre l’Iran, qui risquerait de déstabiliser toute la région au détriment des intérêts américains.

Le dernier conflit a coûté à Israël des centaines de millions de dollars par jour. Les dégâts sont estimés à 1,5 milliard de dollars. Et Israël n’en paiera pas seul le prix : les contribuables américains seront eux aussi sollicités. Par ailleurs, l’économie israélienne peine encore à se remettre de la guerre de Gaza, dont le coût dépasse désormais les 67 milliards de dollars.

Netanyahou veut peut-être renverser le régime de Téhéran, mais sans feu vert américain, il n’a d’autre choix que de poursuivre la guerre de l’ombre.

Le nouveau champ de bataille : les opérations secrètes

Dans cette nouvelle phase, Netanyahou cherchera à ralentir le programme nucléaire iranien — qu’il n’a pas réussi à stopper, même sous Trump — ainsi que ses avancées balistiques, militaires et scientifiques. Ses armes : le renseignement, le sabotage, la cyberguerre, les explosions ciblées et les assassinats. De fait, une série d’explosions a secoué des sites stratégiques en Iran depuis la trêve, tandis que les autorités iraniennes intensifient la traque des réseaux d’espionnage israéliens.

Mais l’Iran n’est pas une cible passive. Il mène sa propre guerre de l’ombre, notamment par l’intermédiaire des Houthis au Yémen (Ansar Allah), qui continuent de perturber la navigation dans la mer Rouge — un couloir maritime vital — tout en menaçant la profondeur stratégique israélienne. L’Iran est également soupçonné d’activer des cellules dormantes à l’intérieur même du territoire israélien, ce qui alimente les appels à reprendre les frappes directes, en ciblant notamment ceux perçus comme les cerveaux des attaques du 7 octobre.

Netanyahou milite pour une coalition anti-Houthis

Israël tente désormais de former une coalition militaire pour mener des frappes contre les Houthis, en avançant que leur menace dépasse le cadre israélien et met en péril les intérêts maritimes mondiaux. Mais le projet, ambitieux, se heurte à des obstacles logistiques, diplomatiques et à de vives réserves américaines.

Face à cette impasse, Israël pourrait devoir renforcer ses systèmes de défense aérienne, notamment si les stocks de missiles « Arrow » et de munitions s’amenuisent. Les contraintes stratégiques, économiques et militaires rendent difficile la gestion d’une guerre prolongée — surtout si ses objectifs manquent de clarté ou de réalisme. L’opinion publique israélienne pourrait aussi s’en détourner. Si les premiers sondages affichaient un soutien massif (entre 70 % et 85 %), celui-ci est retombé à 65 % dans les derniers jours du conflit, à mesure que les pertes humaines et matérielles s'accumulent, selon des enquêtes internes.

Conclusion : vers une guerre invisible et durable

L’Iran, de son côté, n’ouvrira probablement pas les hostilités, mais ne retournera pas non plus à la table des négociations. Un débat profond agite Téhéran sur les causes et les conséquences du conflit, prolongeant la réflexion entamée après les erreurs de calcul du « croissant chiite » à Gaza et au Liban, qui ont causé d’importants revers à l’influence iranienne dans la région.

Ainsi, une guerre totale semble écartée. Mais la guerre de l’ombre ? Elle ne s’est jamais arrêtée. Et elle ne fait que s’intensifier.