Téhéran et Jérusalem se livrent une guerre secrète à coups d'opérations clandestines, de cyberattaques et d'assassinats ciblés. Les mollahs multiplient les appels à la destruction de l'État hébreu, dont les dirigeants considèrent l'Iran comme une « menace existentielle ». L'hypothèse d'un conflit armé resurgit.
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Le 9 juin, à l’occasion d’un entretien accordé à la chaîne britannique Sky News, Benyamin Nétanyahou affirmait : « L’Iran s’est ouvertement engagé à répéter l’Holocauste et à exterminer les six ou sept millions de juifs d’Israël. » « Nous n’allons pas rester les bras croisés », prévenait-il, ajoutant : « Israël fera tout ce qu’il faut pour se défendre contre l’Iran. » Et la semaine dernière, alors qu’il était présent sur les lieux d’un attentat perpétré par deux Palestiniens près d’Hébron, le leader israélien pointait à nouveau du doigt la responsabilité de Téhéran : « Nous sommes au beau milieu d’une offensive terroriste qui estencouragée, dirigée et financée par l’Iran. » Énième saillie de la part du Premier ministre israélien contre le régime des mollahs ? Pas tout à fait. Car, depuis dix mois, Israël affronte une recrudescence des cyberattaques et des attentats commandités par ce dernier.
En février, le Technion, institut de technologie basé à Haïfa, faisait l’objet d’une opération de piratage attribuée à des hackers iraniens. En avril, l’État hébreu était la cible de plusieurs attaques terroristes à sa frontière avec le Liban attribuées au Hamas et au Hezbollah pro-iranien. Le 22 juin, les services chypriotes et grecs, en collaboration avec le Mossad, déjouaient encore un attentat contre des citoyens israéliens sur l’île de Chypre, commandité par les Iraniens.
Loin de démentir l’implication de ses agents, Ali Khamenei, le guide suprême de la République islamique d’Iran, surenchérissait quatre jours plus tard en appelant ses troupes à « intensifier les attaques contre Israël ». Il expliquait, dans un message relayé sur Twitter : « L’autorité croissante des groupes de résistance en Cisjordanie est la clé pour mettre l’ennemi sioniste à genoux. » Une exhortation claire au terrorisme.
Le Mossad multiplie les assassinats ciblés
Alors, depuis dix-huit mois, le Mossad multiplie les assassinats ciblés contre des hauts responsables du corps des gardiens de la révolution, véritable bras armé du régime iranien, considéré comme la menace principale à ses yeux. En mars 2022, deux de leurs officiers trouvaient la mort lors d’un raid israélien en Syrie. En janvier 2023, un autre était abattu devant son domicile à Téhéran…
Une source du renseignement, qui suit parfaitement le dossier, explique : « C’est un jeu de guerre auquel se livrent Iraniens et Israéliens. Il suffit qu’une attaque contre les intérêts stratégiques de la République islamique soit lancée par Tsahal au Liban, et aussitôt celle-ci se met en capacité de riposter jusque dans les eaux du golfe Persique où les pasdarans envoient des drones contre des navires de commerce occidentaux. Le Mossad, quant à lui, a des relais en Iran qui lui permettent de répliquer efficacement. Mais ces actions sont du domaine de la guerre entre services secrets. Et elles nourrissent surtout les provocations auxquelles à l’habitude de se livrer Téhéran. »
Le fait est que, depuis 1979, les dirigeants iraniens ont constamment utilisé une rhétorique incendiaire contre Israël, niant l’Holocauste et appelant à son éradication. Rien de neuf à première vue, si ce n’est que la tension entre les deux pays semble aujourd’hui à son comble. La raison de cette surenchère ? Le régime des mollahs connaît, depuis le 16 septembre 2022, une vague de contestation populaire sans précédent. Avec une inflation qui frôle les 60 %, plus de la moitié des Iraniens qui peinent à trouver un emploi, quand deux tiers du pays sont en proie au stress hydrique et que l’accès à l’eau potable se raréfie dans certaines provinces. La population dénonce aussi la corruption endémique qui sévit au sommet de l’État, plusieurs dignitaires ayant été impliqués dans des affaires de blanchiment, de trafics d’armes et de drogue. Face à une crise intérieure d’une ampleur majeure, le gouvernement iranien, affaibli, espère donc « fédérer » le peuple iranien contre son « meilleur ennemi ».
« Il faut préciser que la population iranienne n’a rien contre Israël », tempère Amir Hamidi, un ancien agent irano-américain de la DEA (l’agence anti-drogue américaine), considéré comme l’un des meilleurs experts de la République islamique d’Iran. « Le gouvernement iranien, sous la direction du guide suprême Ali Khamenei, a toujours exprimé une forte opposition à l’existence de l’État hébreu, appelant à sa destruction. Cette position est enracinée dans les principes idéologiques de la révolution islamique et la perception d’Israël comme uneentité illégitime occupant la terre palestinienne. L’Iran a donc fourni un large soutien à divers groupes militants palestiniens tels que le Hamas et le Jihad islamique qui s’opposent au processus de paix avec Israël, et se sont engagés dans la résistance armée. Celui-ci comprend une aide financière, de la formation militaire et de la fourniture d’armes. L’Iran appuie aussi d’autres acteurs régionaux comme le Hezbollah libanais, qui est considéré comme une menace importante pour la sécurité de l’État hébreu. »
Sarit Zehavi dirige le centre de recherches et d’analyses israélien Alma Center. Lieutenant-colonel de réserve dans l’armée israélienne où elle a servi en tant qu’officier du renseignement, elle a consacré plusieurs enquêtes au corps des gardiens de la révolution iraniens et au Hezbollah. Pour cette analyste, il ne fait aucun doute que les mollahs perçoivent « Israël comme le « petit Satan », bras armé des États-Unis au Moyen-Orient ». Ce qui explique que « l’Iran est très influent à Gaza comme en Cisjordanie, via ses proxys [groupes partenaires, NDLR] auxquels il fournit des armes, des munitions et des financements qui s’élèvent à des centaines de millions de dollars. Dans ce contexte, la guerre entre les deux pays est possible, et je peux même dire que c’est davantage une option aujourd’hui qu’il y a un an ».
Le rôle du programme nucléaire iranien
Sarit Zehavi précise toutefois qu’« une guerre ouverte serait conditionnée au fait que l’Iran progresse dans son programme nucléaire. Israël s’y prépare et travaille à une campagne militaire en même temps que diplomatique auprès des Américains pour trouver le moyen de stopper cela ».
Malgré la guerre de l’ombre qu’ils se livrent, les deux pays font toutefois preuve d’une certaine retenue, ayant évité jusqu’à aujourd’hui une confrontation militaire directe. Spécialiste du Moyen-Orient, le géopolitologue Frédéric Encel, auteur de l’ouvrage les 100 Mots de la guerre (Puf, Que sais-je ?), décrypte la situation : « La politique de l’Iran vis-à-vis d’Israël est celle du punching-ball virtuel. Sur le plan sémantique et rhétorique, on frappe fort et constamment afin de fédérer les partenaires chiites, mais aussi l’ensemble du monde musulman sur le thème archi-usé de la défense de la cause palestinienne. En réalité, sur le terrain, la République islamique n’a jamais fait sérieusement la guerre à Israël. Ni directement, alors que sa force de frappe balistique est considérable, ni indirectement, l’agenda du Hezbollah s’inscrivant au Liban bien plus qu’à Jérusalem. On est là dans une posture très classique. Je ne vous dis pas que Khamenei et Nasrallah ne rêveraient pas de détruire l’État juif, mais, aussi fanatiques soient-ils, ils ne sont pas des imbéciles, et ils connaissent parfaitement les rapports de force. »
Amir Hamidi prévient toutefois : « Plusieurs facteurs pourraient contribuer à un conflit. Il y a bien sûr le soutien au Hamas et au Hezbollah, ainsi que le programme nucléaire iranien, source majeure de préoccupation. Mais il y a également le fait que l’Iran et Israël sont engagés dans une lutte de pouvoir régional au Moyen-Orient. Ils soutiennent chacun des parties opposées dans les conflits en Syrie, au Liban et au Yémen. Et cette compétition par procuration pourrait bien dégénérer en une confrontation directe si l’une ou l’autre des parties se sentait suffisamment menacée. Enfin, l’implication d’acteurs externestels que les États-Unis et d’autres puissances peut jouer un rôle important dans l’exacerbation des tensions. Et des changements dans la dynamique régionale ou dans l’équilibre des pouvoirs peuvent contribuer à une escalade des hostilités. »
« Face à Israël, les mollahs savent qu’ils ne feraient pas le poids militairement »
Un point de vue d’autant plus intéressant que le régime des mollahs, bien que fragilisé en interne, a multiplié ces dernières années les accords commerciaux et diplomatiques avec plusieurs pays comme la Chine et la Russie, mais aussi, plus récemment, avec l’Arabie saoudite. « L’Iran a besoin de montrer sa puissance, mais il y a peu de chances que Chinois et Russes soutiennent les Iraniens en cas de conflit avec les Israéliens. Ils n’y ont aucun intérêt. Quant à l’accord avec les Saoudiens, celui-ci ne tiendra pas, car trop de choses opposent Riyad et Téhéran. Malgré leurs gesticulations, les mollahs sont finalement assez isolés et ils savent que, face à Israël, ils ne feraient pas le poids militairement », affirme un ancien diplomate iranien.
Une analyse partagée par Frédéric Encel : « Certains missiles iraniens à longue portée et dotés de systèmes de guidage ont un rayon d’action suffisant pour toucher n’importe quel point du sol israélien. Le problème réside dans la capacité extrêmement destructrice d’une riposte israélienne. Je ne vois vraiment pas l’avantage que procurerait à l’Iran une frappe sur Israël, sauf à imaginer une initiative désespérée en pleine chute du régime. »
Pragmatique, le géopolitologue conclut : « Pour l’heure, les mollahs se contentent de faire la guerre à l’État hébreu par le truchement de discours enflammés et de virus informatiques. Mais, dans ce domaine, les Israéliens sont les plus forts. De plus, aucun État arabe n’ira fracasser ses troupes contre Tsahal au profit de l’Iran. » La guerre secrète peut donc continuer.