La décision rendue par l’Ordre des avocats de Beyrouth suspendant l’avocate stagiaire Roula Dayekh de l’exercice de la profession pendant six mois a déclenché un vaste débat sur les limites de la sensibilisation juridique sur les réseaux sociaux, ainsi que sur le rôle de l’Ordre dans la régulation de la profession face au droit du public d’accéder à l’information juridique.
Au départ : une vidéo… puis une sanction sévère
L’affaire a commencé lorsque Dayekh a publié sur sa page Instagram une vidéo destinée à sensibiliser le public en fournissant des informations juridiques — un type de contenu devenu courant ces dernières années parmi les avocats libanais.
Cependant, l’Ordre a considéré cette activité comme une infraction justifiant une sanction et a décidé de la suspendre de l’exercice pendant six mois, lui interdisant toute activité juridique durant cette période.
Dayekh affirme avoir été convoquée pour un contenu identique à celui que publient de nombreux autres avocats sans être inquiétés, soulignant que « les procédures dans mon dossier ont avancé à un rythme inhabituellement rapide par rapport à d’autres affaires, ce qui soulève des questions sur les raisons de cette précipitation et de la rapidité de la décision ».
Dayekh : Je suis sous l’autorité de l’Ordre… mais la justice doit s’appliquer à tous
Dans la vidéo qu’elle a publiée, Dayekh insiste sur son respect de la loi et de l’Ordre, affirmant être prête à retirer tout contenu que l’Ordre jugerait contraire aux règles — à condition que « les mêmes règles soient appliquées à tous, sans exception ».
Elle estime que ce qui lui est arrivé dépasse la simple mesure disciplinaire et est devenu une expérience douloureuse révélant le besoin d’une justice équitable, qui ne discrimine pas entre les avocats et n’applique pas les normes de manière sélective.
Elle a également annoncé avoir déposé un recours devant la Cour d’appel, soulignant qu’elle ne cherche pas la sympathie, mais l’équité — une équité qui garantit à chaque avocat le droit d’exercer sa profession dans le cadre des lois en vigueur.
L’avis juridique : le contenu de sensibilisation constitue-t-il vraiment une infraction ?
Plusieurs avocats et experts juridiques expliquent que la régulation des apparitions médiatiques des avocats relève depuis longtemps des prérogatives de l’Ordre.
L’objectif est d’éviter que la profession ne devienne un outil publicitaire et d’empêcher la diffusion de conseils juridiques généraux susceptibles d’être mal interprétés ou utilisés hors de leur contexte légal.
Selon cette perspective :
- Les vidéos de sensibilisation peuvent être considérées comme de la publicité déguisée, ce que l’Ordre interdit strictement.
- Fournir des conseils juridiques généraux au public peut semer la confusion et exposer les citoyens à une mauvaise compréhension de la loi.
- Les ordres d’avocats à travers le monde imposent des restrictions au discours juridique public afin de protéger la profession.
- Les avocats doivent respecter la déontologie, notamment les règles encadrant les apparitions médiatiques, sauf autorisation ou cadre défini.
De ce point de vue, l’Ordre n’a fait qu’appliquer la loi — même si certains contestent la sévérité de la sanction.
L’avis opposé : une sanction injustifiée… et une entrave à la connaissance
D’autres avocats et défenseurs des droits humains estiment au contraire que la décision de l’Ordre constitue un dangereux recul à un moment où l’accès à la connaissance juridique est devenu une nécessité quotidienne, notamment dans un pays où les citoyens souffrent d’institutions fragiles et de difficultés d’accès à la justice.
Selon ce camp :
- La sensibilisation juridique ne constitue pas une publicité commerciale, mais un service public.
- L’Ordre réprime un discours public qui devrait être encouragé, non sanctionné.
- Dayekh n’a pas fait de promotion personnelle ; elle a partagé des informations générales que tout citoyen devrait connaître.
- La sanctionner alors que d’autres font la même chose soulève la question de la sélectivité au sein de l’Ordre.
- La peine est disproportionnée et pourrait servir de message d’intimidation à l’égard de ceux qui envisagent de partager leurs connaissances juridiques publiquement.
Entre le droit et l’intérêt public : un débat qui se poursuit
L’affaire Roula Dayekh a ouvert un nouveau débat sur le rôle de l’Ordre à l’ère du numérique :
Les avocats doivent-ils s’abstenir totalement de servir un contenu de sensibilisation en ligne ?
Ou l’Ordre devrait-il moderniser ses règles pour s’adapter au contenu juridique numérique plutôt que de recourir à des sanctions sévères ?
Pour beaucoup, la solution réside dans l’élaboration d’un guide clair et moderne pour la sensibilisation juridique sur les réseaux sociaux, précisant :
- Ce qui est permis et ce qui ne l’est pas.
- Comment présenter des informations générales sans violer les règles professionnelles.
- Un cadre éthique unifié applicable à tous les avocats.
- Une telle approche permettrait de protéger la profession contre les dérives tout en ne privant pas le public d’un savoir juridique essentiel.
Une affaire qui dépasse le cas de Roula Dayekh
Qu’elle soit justifiée ou non, la décision de l’Ordre dans le cas de Roula Dayekh a révélé un véritable fossé entre l’Ordre des avocats et les exigences contemporaines de communication, ainsi qu’entre la loi et le droit du public à l’information.
Avec le recours désormais entre les mains de la justice, il reviendra aux tribunaux de trancher, tandis que le débat se poursuit sur l’avenir du discours juridique au Liban à l’ère des réseaux sociaux.
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