La Seconde Guerre mondiale ne fut pas seulement une confrontation d’armées, de chars et d’avions ; elle fut aussi un immense terrain d’expérimentation médicale et psychologique visant à pousser les soldats jusqu’aux limites extrêmes de l’endurance humaine. Parmi les pratiques les plus controversées figuraient les pilules stimulantes distribuées aux troupes allemandes, connues sous le nom de Pervitin — une substance très proche de la méthamphétamine, dont les effets rappellent ceux du Captagon d’aujourd’hui.

En 1940, lors de l’invasion éclair de la France, des Pays-Bas et de la Belgique, la stratégie d’Hitler reposait sur la « guerre éclair », censée remporter des victoires rapides avec un minimum de pertes. Cela nécessitait des combattants capables de rester éveillés et actifs des heures durant, sans fléchir ni physiquement ni psychologiquement.

C’est là qu’intervint le Pervitin : de petits comprimés blancs que la presse allemande qualifiait alors de « pilules miracles ». Le médecin militaire Otto Ranke en fut l’un des plus fervents promoteurs, y voyant un moyen de libérer l’énergie latente des soldats. Des millions de doses furent distribuées aux unités d’élite de la Wehrmacht, permettant aux soldats de rester éveillés plus de 48 heures d’affilée, combattant sans faim ni fatigue.

Mais chaque miracle a son revers. Ces pilules, qui offraient une énergie surhumaine à court terme, détruisaient les corps et les esprits sur le long terme. Une fois l’effet dissipé, les soldats sombraient dans un épuisement total, des hallucinations, des crises nerveuses — allant parfois jusqu’à des accès de violence aveugle ou au suicide. De nombreux rapports mentionnent que des unités entières, dépendantes du Pervitin, se retrouvèrent incapables de combattre, prisonnières de l’addiction. Même les pilotes testés sous drogue présentaient de graves pertes de concentration après coup.

Ironie du sort, Hitler lui-même recevait, selon des documents médicaux ultérieurs, des traitements à base de méthamphétamine, inclus dans le cocktail quotidien que lui administrait son médecin personnel, Theodor Morell. Certains historiens attribuent ses décisions de plus en plus erratiques dans les dernières années de la guerre à ces substances stimulantes, plus qu’à une stratégie militaire réfléchie.

Le Pervitin ne disparut pas avec la fin de la guerre. Cet héritage toxique réapparut au fil des décennies dans divers conflits, où des groupes armés eurent recours au Captagon pour accroître leur endurance et abolir la peur. Progressivement, le Captagon a quitté les champs de bataille pour envahir les marchés noirs, devenant une industrie criminelle transnationale rapportant des milliards, et semant l’addiction, l’effondrement psychologique et la ruine sociale à grande échelle.

L’histoire des « pilules miracles » nazies rappelle que la guerre ne se limite pas à transformer les frontières et la politique, mais qu’elle transforme aussi l’homme lui-même. Hitler et ses généraux ont voulu créer des super-soldats par la chimie ; ils ont produit des êtres brisés, corps et esprits confondus.

Aujourd’hui, le Captagon répète cette histoire avec une cruauté plus implacable encore : de simple instrument de folie militaire, il est devenu une entreprise criminelle transfrontalière qui consume les sociétés et brûle leur avenir.