Le paysage régional après la guerre israélo-iranienne reste aussi opaque que les résultats de ce conflit. Pourtant, une question centrale persiste : quel avenir pour les efforts de paix dans la région et quel sort attend les accords d’Abraham ?

Il ne fait aucun doute que le Moyen-Orient et le Golfe traversent les transformations les plus importantes depuis plus d’un siècle, un bouleversement rendu manifeste par les évolutions majeures des deux dernières années, qui s’appuyaient sur des plans de paix élaborés auparavant pour la région — des plans aujourd’hui enlisés en raison de l’absence de « solution juste » à la question palestinienne.

Contrairement à l’intention de ses auteurs le 7 octobre 2023, l’opération « Déferlement d’Al-Aqsa » a servi de déclencheur dramatique à tout ce qui a suivi. Dans les calculs du Hamas, l’opération devait relancer les négociations avec Israël, comme cela avait été le cas avec des opérations précédentes. Pour les parrains du mouvement, principalement l’Iran, l’offensive représentait une tentative de mettre fin à la normalisation et de torpiller toute perspective de paix entre Israël et le monde arabe en embrasant le conflit palestinien.

Pourtant, l’axe a mal lu la situation. Il s’est heurté au gouvernement israélien le plus extrémiste de son histoire, dirigé par Benjamin Netanyahou — un dirigeant prêt à tout pour rester au pouvoir et éviter le spectre des procès et de l’oubli politique. Autre erreur d’appréciation : sous-estimer le soutien indéfectible des États-Unis à Israël et les capacités de ce dernier, qui ont surpris de nombreux observateurs, d’autant plus que Tel-Aviv entendait redéfinir le Moyen-Orient un siècle après le dernier grand redécoupage régional.

L’axe aurait pu éviter de provoquer Israël sur le front libanais, mais les évolutions au Liban — et surtout en Syrie, où le régime était au bord de l’effondrement — ont poussé Netanyahou à mener sa guerre contre l’Iran avec le feu vert américain, malgré des objectifs stratégiques divergents.

Les objectifs d’Israël étaient clairs : frapper les programmes nucléaire et balistique de l’Iran, démanteler son infrastructure militaire, mener des assassinats ciblés et préparer le terrain à un éventuel renversement interne du régime iranien. Et bien qu’Israël ait infligé des coups tactiques douloureux à l’Iran, il n’a pas atteint ses objectifs stratégiques ni réussi à entraîner davantage les États-Unis dans ses ambitions guerrières. Pire, la sécurité même d’Israël — socle de son existence depuis 1948 — a été ébranlée, révélant la vulnérabilité d’un petit État incapable de soutenir une guerre d’usure prolongée sur l’ensemble de son territoire.

Quant au président Donald Trump, malgré son objectif de paralyser le programme nucléaire iranien ou de lui porter un coup décisif, il n’a pas entièrement atteint ce but. Affaiblir l’Iran au point de le contraindre à négocier — une priorité pour Trump — reste une question en suspens, dépendante des développements à venir.

Pour l’heure, malgré sa rhétorique enflammée, Téhéran n’a d’autre choix que de s’orienter vers une réconciliation historique avec les États-Unis et d’embrasser un concept plus large de paix régionale. Sur le plan intérieur, l’Iran doit aussi offrir davantage d’ouverture à une population qui, malgré tout, s’est ralliée à ses dirigeants dans une unité nationale rappelant la guerre Iran-Irak sous Saddam Hussein. En Iran, un débat profond s’est engagé sur les causes des faiblesses, le rôle régional du pays et d’autres enjeux cruciaux, prolongeant une réflexion entamée après les précédentes guerres d’Israël au Liban et les difficultés de l’axe.

Il faudra probablement du temps avant que l’Iran ne retourne à la table des négociations, avec des solutions temporaires qui pourraient mener à un rapprochement irano-américain nécessaire — une issue que souhaitent ardemment les peuples des deux pays, ainsi que ceux de la région, épuisés par les guerres et aspirant à la stabilité et à la prospérité.

D’ici là, quel avenir pour le processus de paix et pour les accords d’Abraham, qui incluent les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Maroc et le Soudan ? Avec le gouvernement israélien actuel, ultranationaliste, et l’escalade persistante, il semble n’y avoir guère d’espoir d’avancée sérieuse à court terme.

La condition immédiate est l’arrêt de la guerre contre les Palestiniens à Gaza, suivi d’un effort global de reconstruction et de la formation d’une autorité gouvernementale sous supervision arabo-internationale, qui éloignerait le Hamas du devant de la scène. Ce n’est qu’alors que des négociations pourraient reprendre avec un partenaire israélien différent de l’actuel gouvernement de droite, ouvrant la voie à une relance d’un processus de paix aujourd’hui moribond. C’est là un défi immense, mais nécessaire, car la paix avec le monde arabe est impossible sans cela.

De plus, la montée en puissance et l’agressivité d’Israël, combinées à son refus de faire des concessions pour la normalisation, ont découragé les États arabes de tendre la main à la paix, affaiblissant les incitations même chez ceux ayant déjà signé les accords.

En fin de compte, l’avenir de la paix repose entre les mains de l’Arabie saoudite — État clé dont l’accord ouvrirait la voie à une paix régionale plus large. Or, Riyad ne semble pas pressé, consolidant ses relations avec Téhéran pour renforcer la sécurité régionale et préférant prendre le temps d’évaluer une situation instable, la guerre ayant frôlé les frontières du Golfe et éveillé la crainte d’États qui privilégient la stabilité et s’opposaient à la guerre contre l’Iran.

L’Arabie saoudite et d’autres nations arabes subiront sans doute des pressions de la part de Trump, qui cherche à s’imposer rapidement comme un artisan mondial de la paix et à tirer profit de ses efforts militaires et de ses frappes contre l’Iran. Mais les pays du Golfe, malgré leur accueil chaleureux réservé à Trump lors de sa dernière visite, préféreront probablement attendre pour évaluer l’évolution des relations entre Washington et Téhéran, ainsi que le comportement d’Israël à Gaza et dans la région, avant de s’engager davantage.

Surtout, chacun observe de près pour savoir si la guerre est réellement terminée — ou si elle risque de reprendre, peut-être sous d’autres formes. Les dirigeants du Golfe savent que Trump a besoin d’un Moyen-Orient stable, n’ayant aucune envie d’une nouvelle guerre dans une région qu’il souhaite exploiter économiquement. Le Qatar a d’ailleurs joué un rôle clé dans les ententes indirectes entre Washington et Téhéran pour mettre fin aux hostilités.

Pourtant, tout dépendra de la capacité de Trump à contenir Netanyahou à Gaza et à freiner le comportement d’Israël, qui cherche à imposer unilatéralement sa vision de la sécurité régionale — alors même qu’Israël ne peut mener, encore moins gagner, une guerre sans le soutien américain.

Si la pression américaine s’intensifie pour relancer le processus de paix, le gouvernement israélien actuel en sera le grand perdant. Même s’il acceptait finalement un cessez-le-feu à Gaza, il ne pourrait offrir ce que les Palestiniens espèrent, ni restituer les territoires syriens occupés, dont le plateau du Golan annexé. Cela rend la paix avec Damas improbable à ce stade, comme la paix plus large avec les Arabes, qui reste avant tout tributaire de la position saoudienne — elle-même conditionnée par la mise en œuvre de l’Initiative arabe de paix adoptée à Beyrouth en 2002.

En définitive, la région — et avec elle les accords d’Abraham — demeure en suspens, chacun guettant l’issue de ces profonds bouleversements.