En 2021, le Fonds monétaire international (FMI) publiait une déclaration affirmant que le Liban faisait face à des défis sans précédent et qu’il lui fallait mettre en œuvre un programme de réformes structurelles. Ce plan inclut quatre priorités : résoudre la faiblesse de la gouvernance, élaborer une stratégie de finances publiques, restructurer en profondeur le secteur financier et mettre en place un système monétaire et de change crédible.
Ces quatre conditions sont toujours perçues par les experts du FMI comme des prérequis indispensables à tout programme d’aide. Mais elles ne représentent qu’une porte d’entrée, pas une finalité en soi. Leur mise en œuvre ouvrirait ensuite la voie à d’autres mesures inscrites dans le « Consensus de Washington », un ensemble de dix réformes dont dépend l’aide financière intégrale du Fonds.
Une gouvernance défaillante au cœur des préoccupations
Le FMI appelle à des réformes centrées sur la transparence, à commencer par un renforcement du cadre de lutte contre la corruption et une amélioration de la performance des entreprises publiques, en particulier dans le secteur de l’énergie. Cela suppose des audits complets de la Banque du Liban et de l’Électricité du Liban.
Mais lutter contre la corruption au Liban relève du casse-tête, tant elle est enracinée dans la culture du pays et imprègne aussi bien les institutions publiques que le secteur privé. Une question centrale se pose : une fois les audits réalisés, qui assurera la reddition des comptes ? La réponse est censée être : le système judiciaire. Encore faut-il qu’il en ait les moyens et la volonté.
Une stratégie budgétaire floue et incohérente
Le FMI demande également la mise en place d’une stratégie de finances publiques combinant une restructuration profonde de la dette, des réformes fiscales pour restaurer la crédibilité de l’État, une meilleure transparence budgétaire et l’élargissement du filet de sécurité sociale. Ces demandes font écho à la première mesure du Consensus de Washington, qui exige un déficit budgétaire inférieur à 1 ou 2 % du PIB.
Or, dans les faits, les budgets 2024 et 2025 présentent des déficits bien supérieurs. Des montants importants ont été omis, comme les deux milliards de dollars dus à l’Irak pour le fioul, ou encore les coûts liés à l’agression israélienne. Le budget 2025, quant à lui, a été adopté avant la guerre, sans tenir compte de la baisse des recettes ni de l’augmentation des dépenses.
Fait étonnant, dans son communiqué final publié à l’issue de la visite d’un de ses délégations techniques à Beyrouth en mars 2025, le FMI affirme que « les récentes mesures de politique économique ont permis de maintenir une certaine stabilité, avec une baisse de l’inflation et une stabilisation du taux de change depuis la disparition du déficit public à la mi-2023 ». Une évaluation difficilement compréhensible au vu de la réalité des chiffres.
Quant à la dette publique, qui dépasse les 110 milliards de dollars, soit plus de 500 % du PIB (loin du plafond de 60 % préconisé par les critères de Maastricht), aucune négociation sérieuse n’a encore eu lieu avec les créanciers, ni locaux ni étrangers. La transparence budgétaire reste aussi un mirage : les comptes publics depuis 2004 n’ont jamais été clôturés, et d’importantes sommes manquent à l’appel. On évoque ainsi 27 milliards de dollars au sort inconnu, 6 milliards dilapidés dans le secteur des télécommunications, et plus de 48 milliards transférés à Électricité du Liban, selon le rapport d’Alvarez & Marsal.
Parallèlement, lorsque le FMI évoque « l’élargissement du filet de sécurité sociale », il sous-entend à la fois un élargissement de la base fiscale et un emprunt à la Banque mondiale pour venir en aide aux familles les plus vulnérables.
Une restructuration bancaire politiquement explosive
Le FMI demande également une restructuration en profondeur du secteur financier, ce qui implique une reconnaissance anticipée des pertes par les banques privées et la Banque du Liban, tout en protégeant les petits déposants.
Mais le FMI ne mentionne pas la responsabilité directe de l’État libanais. En réalité, il semble implicitement suggérer un effacement de la dette publique intérieure, ce qui reviendrait à faire porter les pertes sur les déposants, notamment les plus fortunés. Car si 33 des 110 milliards de dette publique sont des eurobonds, 17 milliards sont détenus par des institutions internationales susceptibles de poursuivre l’État libanais devant les tribunaux. Il serait donc plus « sûr » politiquement et juridiquement d’annuler la dette détenue par les banques libanaises… autrement dit, l’argent des déposants.
Ce dilemme place la classe politique dans une impasse : accepter l’effacement de la dette et risquer une défaite électorale, ou refuser et voir le FMI se retirer de la table des négociations.
Un système monétaire encore instable
Le quatrième axe des réformes exigées par le FMI est la mise en place d’un régime monétaire et de change crédible, avec unification des multiples taux de change et imposition temporaire de contrôles de capitaux.
Cela implique l’adoption d’une loi sur le capital control pour freiner l’économie du cash et les transferts illégaux de fonds à l’étranger. Cela signifie aussi mettre fin à des taux de change artificiels comme celui de 15 000 LL pour les retraits bancaires. Mais unifier le taux de change ne garantit en rien que les déposants pourront récupérer leurs économies.
Le nouveau gouverneur de la Banque du Liban devra donc gérer la sortie progressive des circulaires temporaires qui permettent encore un accès limité aux dépôts.
Le contexte régional complique encore les choses
Au-delà des réformes exigées par le FMI, un facteur majeur pourrait faire capoter tout accord : l’absence d’un cessez-le-feu durable avec Israël. Tant que l’instabilité régionale persiste, toute négociation avec le Fonds restera suspendue dans l’incertitude.