Malgré l’aggravation de la crise économique et sociale au Liban, et la dévaluation rapide de la livre libanaise face au dollar américain, le ministère du Travail a pris une décision controversée qui a suscité une vague de colère parmi les travailleurs et la population en général. Le ministère a choisi de fixer le salaire minimum à 320 dollars, sans ajustement des salaires supérieurs à ce seuil. À un moment où l’État devrait répartir équitablement les charges entre employeurs et salariés, cette mesure a clairement révélé l’alignement du gouvernement sur les intérêts patronaux, au détriment d’une classe ouvrière déjà épuisée.

De 450 à 200… puis à 320 dollars

Avant l’effondrement de la livre libanaise, le salaire minimum équivalait à environ 450 dollars — un montant insuffisant pour couvrir les dépenses de base, mais considéré comme un seuil minimal acceptable. Depuis le début de la crise financière en 2019, le pouvoir d’achat des salaires a chuté drastiquement, poussant la majorité des travailleurs à survivre avec des revenus ne couvrant plus les besoins élémentaires.

L’année dernière, le gouvernement a fixé le salaire minimum à 200 dollars, alors que la plupart des prix étaient déjà calculés en dollars. Cette mesure a permis aux employeurs de dégager des profits élevés, tandis que la valeur réelle des salaires versés chutait à moins de 44 % de ce qu’elle était avant la crise.

Négociations inéquitables et résultats prévisibles

Avec la formation d’un nouveau gouvernement, le ministre du Travail Mohammad Haidar a ouvert un dialogue avec la Confédération générale des travailleurs libanais et les instances économiques. Plusieurs études ont révélé que le revenu minimum nécessaire pour faire vivre une petite famille dans une ville libanaise dépasse les 800 dollars par mois, mettant la pression sur l’État pour une révision salariale. Mais les représentants économiques ont posé deux conditions strictes :

- Relever uniquement le salaire minimum, sans ajuster les autres grilles salariales.

- Limiter l’augmentation à 50 % maximum.

Même la proposition modérée de la confédération – porter le salaire minimum à 550 dollars – a été rejetée. Pire encore, le ministre du Travail a épousé sans réserve les arguments patronaux, qualifiant toute correction salariale équitable d’« irréaliste » dans le contexte actuel. Il a même repris mot pour mot le chiffre proposé par les instances économiques : 27 millions de livres libanaises, soit environ 320 dollars.

Des prétextes fragiles et les erreurs du passé qui se répètent

Pour tenter de convaincre l’opinion publique que les revendications des travailleurs sont irréalistes, le ministre du Travail a ravivé l’argument selon lequel l’ancienne « grille des salaires » adoptée avant la crise serait à l’origine de l’effondrement économique — une hypothèse qu’aucune étude indépendante n’a jamais confirmée. L’effondrement financier du Liban résulte principalement de décennies de corruption, de gaspillage et de dettes excessives, et non d’une hausse des salaires dans la fonction publique.

Ce discours vise clairement à faire peur aux citoyens pour qu’ils renoncent à revendiquer de meilleurs salaires, tout en justifiant la soumission aux intérêts des grandes entreprises, qui cherchent à réduire leurs contributions à la sécurité sociale et leurs charges salariales, quitte à sacrifier la santé et la sécurité financière des travailleurs.

Des travailleurs pris dans la tempête

Dans un reportage pour Safa News, plusieurs employés du secteur privé ont exprimé leur profond sentiment d’abandon par l’État. « Je travaille toute la journée sous le soleil, et à la fin du mois, mon salaire ne suffit même pas à payer mon loyer », déclare un ouvrier du bâtiment. Une employée d’un magasin témoigne : « Cela fait deux ans qu’on ne m’a pas augmentée, et les prix grimpent tous les jours. Je dois manger, je dois acheter mes médicaments… et à la fin, on me dit qu’il faut patienter ! »

Un combat loin d’être terminé

Le fait de fixer un salaire minimum sans ajustement global des salaires reflète un désengagement évident de l’État vis-à-vis des plus vulnérables. Aujourd’hui, les travailleurs paient le prix de la crise, tandis que les instances économiques continuent à préserver leurs bénéfices sans aucune contribution équitable à la sortie de crise.

Alors que les conditions de vie continuent de se détériorer, la bataille des salaires semble loin d’être achevée. Elle ne fait peut-être que commencer — dans la rue, dans les syndicats et sur les plateformes médiatiques.

Dans un pays confronté à l’une des pires crises financières de son histoire, aucune solution ne saurait être juste sans une réforme salariale réelle, en adéquation avec le coût de la vie, et garantissant un minimum de dignité à la classe ouvrière.