Sébastien Laye est économiste franco-américain, et conseiller économique Republicans Overseas pour la France.
Sébastien Laye
Le produit intérieur brut américain s’est contracté de 0,3% au premier trimestre 2025. Sont-ce les premiers résultats de la politique commerciale de Donald Trump ?
Attention, la croissance américaine ne s’est contractée que de 0,1% au premier trimestre (le chiffre que vous citez est la présentation annualisée, que nous n’utilisons pas en France par exemple, qui consiste à projeter la croissance sur 12 mois si elle continuait au même rythme). Nous sommes donc dans l’épaisseur du trait entre léger recul et expansion. Quand on regarde les composantes de la croissance, il y a deux facteurs négatifs (tout le reste, l’investissement, la consommation, se porte très bien d’où d’ailleurs de récents chiffres de créations d’emplois très bon (177 000 contre 130 000 attendus)) : l’augmentation massive des importations et la diminution de la dépense publique. La première est sans doute due à des constitutions de stocks avant la mise en place attendue des tarifs au second trimestre, ou à une demande accrue des consommateurs, dans tous les cas techniquement (et cela ne correspond guère à la réalité économique) une augmentation des importations (déduites du PIB) comptablement réduit la croissance. Sans cet effet des importations, le PIB a crû à un rythme annualisé de…3%, à comparer avec la même mesure pour 2024, à savoir 2,8%. Le second impact, bien moindre, vient de la dépense publique. Là aussi, comptablement, il suffit pour un Etat de dépenser pour créer du PIB. Ainsi, en 2024, si la croissance « cœur » des US a atteint 2,8%, cela est aussi du aux dépenses de l’ère Biden, sans quoi la croissance était plutôt aux alentours de 2%. Il faut donc se méfier de ces mesures trimestrielles du PIB, même si on peut penser que les premières actions du DOGE, qui sont nécessaires bien sur surle long terme, ont enlevé 0,1/0,2% de croissance sur le trimestre.
L’inflation est passée de 2,6% à 3% depuis janvier, selon le CPI. Y-a-t-il un risque de résurgence inflationniste outre-Atlantique ?
On ne peut guère comprendre la politique économique américaine sans la considérer dans son ensemble de manière cohérente. A cet égard, la politique commerciale, mise en avant (y compris par les medias) durant les cent premiers jours doit etre aussi comprise à l’aune de la politique fiscale (les baisses d’impots seront à l’agenda du Congrès au cours des prochains jours), de la politique énergétique (qui porte déjà ses fruits) et de la politique de dérégulation de manière générale. Près de 1.2 trillion de dollars d’investissements industriels et technologiques ont été annoncés en 100 jours. Cela représente un afflux colossal de capitaux et d’emplois. Tous ces éléments de la politique économique sont plutôt déflationnistes, même si l’impact de court terme de la politique commerciale est lui inflationniste. Les deux effets devraient se neutraliser d’ici cet été. Par ailleurs, c’est la Fed qui est en charge du suivi de l’inflation, et pour l’instant, Jérôme Powell poursuit une politique neutre justement afin d’éviter tout risque inflationniste. Enfin, ceux qui pensent que nous allons durablement vivre dans une ère d’inflation élevée ne comprennent pas le lien existant entre l’inflation et la croissance : si on veut une bonne croissance, une inflation modérée est un corollaire inévitable (c’était le cas de la France pendant les Trente Glorieuses). Dernier point : on ne verra pas cet impact avant 2026-2027, mais les avancées de l’IA aux Etats Unis et ses conséquences sur l’organisation de entreprises et leurs structures de coûts auront aussi un impact déflationniste.
Mi-avril, les réservations de conteneurs maritimes en provenance de Chine vers les Etats-Unis étaient inférieures de 45 % à celles de 2024. Cet effondrement préfigure-t’il une pause ou un déclin de l’économie américaine ?
Cela préfigure l’effondrement des exportations chinoises et des difficultés accrues pour un modèle économique chinois déjà en perdition, qui n’a pas su opérer la bascule entre un modèle de type émergent (exportations et base manufacturière du monde avec une population assez pauvre) et un modèle plus développé (consommation interne et épargne abondante). Il y a déjà une crise de l’emploi en Chine, avec un taux de chômage des moins de trente ans de 15%. 5-10 millions d’emplois chinois sont menacés par les tarifs s’il n’y a pas de discussion rapide entre les deux puissances.
Les Etats Unis imposent cette guerre commerciale à la Chine car ils sont les principaux clients importateurs d’une puissance qui est devenue agressive à leur égard. Le client est roi, adage oublié par les Chinois qui vont devoir liquider leur production ailleurs. A qui ? Aux Européens sans croissance et qui ne supportent pas plus que les Américains de voir leur base industrielle décimée par la concurrence chinoise ? Les Américains eux souhaitent justement produire plus localement pour relancer leur industrie. Ils ne sont pas naïfs cependant et savent que cela prendra du temps. Les tarifs sont une arme pour renégocier des accords avec les autres pays. 17 accords sont en cours de discussion, qui aboutiront in fine à des tarifs assez bas, et des coopérations économiques et militaires renforcées. Apple par exemple va déplacer des productions chinoises vers l’Inde, le Vietnam et les USA.
Quels sont les facteurs positifs des décisions économiques de Donald Trump depuis son retour au pouvoir ?
Il faut relire les ouvrages de Laffer et Moore, Trumponomicsen 2017 et « The Trump Economic Miracle », ainsi que le programme présidentiel de 2024 et l’Agenda 2025 d’Heritage. La politique commerciale n’est qu’un aspect de la politique économique trumpienne, qui doit se conjuguer avec la politique de changes (la recherche d’un dollar plus faible) et la politique monétaire. J’avais personnellement plus d’attentes sur la dérégulation : l’énergie, les règles de permis pour le logement et les data centers qui ont été assouplies, la politique technologique et IA ambitieuse (StarGate, les initiatives cryptos), le travail accompli en moins de 3 mois a tété titanesque en la matière. La politique fiscale, avec la pérennisation des baisses d’impots du premier mandat, mais aussi un certain nombre de déductions fiscales pour les entrepreneurs, est cruciale pour la compétitivité économique américaine. La machine à jobs tourne toujours à plein aux Etats Unis, en un contraste saisissant avec la France par exemple….Aucune administration américaine depuis le premier mandat Roosevelt (l’époque du New Deal) n’a été aussi active sur le front économique.
Certains experts prédisent une pénurie de biens et de composants et des conséquences lourdes sur les chaînes de production américaines…
Le dessein de la politique commerciale (et les agents économiques n’ont pas été trompés sur ce point, qui est primordial pour l’électorat MAGA) est d’inciter les entreprises américaines justement à moyen terme à reprendre le contrôle de ces composants, avec des fabrications locales, comme les Etats Unis le font depuis trois ans pour les semiconducteurs par exemple. Mais surtout la chaine de valeur de la production mondiale va etre redistribuée en fonction des considérations géopolitiques et de sécurité. Si les Etats Unis avaient déjà commis une erreur en accueillant la Chine au sein de l’OMC, continuer à s’approvisionner chez un concurrent agressif en 2024 tenait lieu de l’idiotie totale. De nombreux pays, alliés des Etats Unis, désireux de développer le libre échange avec la puissance américaine (premier marché de consommateurs au monde), se proposent aujourd’hui non seulement pour fournir ses composants, mais en abaissant eux leurs barrières douanières avec les Etats Unis, et en nouant des accords de sécurité, souvent en se détournant de la Chine. Il ne faut pas se voiler la face : la guerre commerciale est un formidable levier de négociation et de reconfiguration des relations internationales.
Et l’accord sur les minerais entre Washington et Kiev ?
Les Etats Unis cherchent à sécuriser les composants et minerais essentiels de son industrie pour ne plus dépendre de la Chine. C’est le sens de l’accord avec les Ukrainiens, mais aussi de la récente implication des Etats Unis au Congo. A chaque fois, une reconfiguration géopolitique, sur fond d’accord de sécurité et de négociation commerciale sur les matières premières, dessine un nouveau monde : celui où la puissance américaine lie coopération économique, parapluie sécuritaire, matières premières, et standards technologiques. Avec en toile de fond le découplage avec la Chine et son isolement grandissant.
Où en est la réforme de la fonction publique aux Etats-Unis ?
Il n’y a pas de statut de la fonction publique (similaire à celui existant en France) aux Etats Unis, même s’il y a eu ces dernières décennies de plus en plus de bureaucrates de carrière..Le principe du spoil system, traditionnel aux Etats Unis, a été considérablement étendu par le président Trump et il faut encore s’attendre jusqu’à la fin de l’année à des remplacements. S’agissant des diminutions d’emploi, après le travail du DOGE, Trump propose dans son dernier budget (les budgets commencent au 1er Octobre, ce qui va dire que la discussion du budget 2026 a déjà commencé) de baisser de 20% les dépenses discrétionnaires hors Défense, soit de 163 milliards de dollars. Cela implique des réductions d’emploi pour le Ministère de l’Education, de l’Environnement (EPA), la CIA (1200 emplois en moins), des agences publiques parfois purement et simpllement supprimées (USAID, US Institute for Peace). Certains Ministères, comme celui du Travail, avec des baisses d’un tiers de leur Budget, devront restructurer leurs effectifs : entre les suppressions d’emplois nets, et la nécessité de remplacer des Démocrates ou des fonctionnaires anti-Trump par des partisans plus loyaux, cela représente une rotation considérable des effectifs au cours des prochains mois…Avant ce Budget, entre fin Janvier et fin Avril DOGE avait supprimé environ 23 000 emplois et l’administration dans son ensemble 130 000 postes (licenciements, non remplacements, ou rachats contre départs). Le nouveau Budget prévoit 150 000 réductions de postes. C’est un effort considérable, sans équivalent depuis le début du premier mandat Reagan, mais à comparer au plus de 3 millions de personnes employées par l’Etat fédéral américain fin 2024…
Propos recueillis par ERE