Alors que les crises économiques et politiques s’enchaînent, le Liban est confronté en 2025 à une crise hydraulique et agricole sans précédent, menaçant sa sécurité alimentaire et sanitaire, et révélant la fragilité de ses infrastructures en matière d’eau. Selon les données de la Météorologie libanaise, les précipitations ont chuté de 50 % par rapport à la moyenne annuelle, entraînant une baisse drastique des niveaux d’eau souterraine et de surface. Le pays est désormais au bord d’une urgence nationale qui touche chaque foyer et chaque table.
D’une crise climatique à une menace existentielle
Cette chute brutale des précipitations s’est accompagnée de températures exceptionnellement élevées au printemps et au début de l’été, accélérant l’évaporation des ressources en eau et réduisant considérablement la capacité des terres agricoles à retenir l’humidité. Selon le Centre de recherches agricoles libanais, la quantité d’eau disponible pour l’irrigation a diminué de plus de 60 % cette saison par rapport à la moyenne des cinq dernières années.
Dans les principales régions agricoles comme la plaine de la Békaa, Akkar et le Sud, la sécheresse est devenue une réalité concrète. Les champs autrefois verdoyants risquent de devenir des terres arides. Des images aériennes récentes révèlent un recul alarmant des superficies cultivées par rapport à l’année dernière, ainsi qu’une baisse significative du niveau des bassins agricoles et des puits.
Le secteur agricole libanais s’effondre sans eau
Le secteur agricole, qui représente environ 5 % du PIB du Liban et emploie près de 15 % de sa main-d’œuvre, traverse une crise multiple. En plus du manque d’eau, il souffre d’:
- Une hausse de plus de 300 % du prix des intrants agricoles au cours des deux dernières années ;
- Une augmentation de plus de 500 % du coût du carburant utilisé pour alimenter les pompes d’irrigation ;
- Une absence quasi totale de soutien gouvernemental ou de programmes agricoles efficaces.
Dans la Békaa notamment, les agriculteurs parlent d’une « véritable bataille pour la survie ». L’un d’eux témoigne :
« Nous ne luttons pas seulement pour nos récoltes, mais pour notre terre et notre capacité à continuer d’y vivre. Sans un soutien urgent, nous perdrons toute la saison. »
Solutions désespérées et dangereuses : irriguer avec de l’eau contaminée
Face à cet effondrement, certains agriculteurs se tournent vers des sources d’eau non sécurisées, comme les eaux usées ou polluées. Un rapport de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) indique que l’utilisation d’eau non traitée pour l’irrigation a augmenté de 25 % dans certains villages de la Békaa au cours des derniers mois.
Cette pratique fait craindre la propagation de maladies graves comme la salmonelle ou l’E. coli, et une concentration plus élevée de métaux lourds dans les sols et les cultures. Cela représente un danger direct pour la santé publique et compromet les exportations agricoles du pays, vitales dans un contexte de pénurie de devises.
Des efforts officiels limités, des réformes sans cesse repoussées
Le ministère libanais de l’Agriculture a lancé un plan d’urgence qui prévoit :
- Le soutien à l’irrigation goutte-à-goutte, qui permet de réduire les pertes en eau de 40 à 50 % ;
- Des campagnes de sensibilisation à la gestion de l’eau et au recyclage des eaux grises ;
- L’encouragement à cultiver des plantes résistantes à la sécheresse comme l’olivier, le thym ou le figuier de Barbarie.
Mais malgré l’importance de ces mesures, elles restent en deçà de l’ampleur du péril. L’absence d’une infrastructure nationale dédiée à la collecte des eaux pluviales ou à la construction de réservoirs stratégiques rend le Liban extrêmement vulnérable aux chocs climatiques futurs.
Un rapport de la Banque mondiale indique que le secteur agricole consomme près de 70 % des ressources en eau du pays, sans réelle régulation. Pire encore, plus de 35 % de l’eau est perdue chaque année à cause des fuites et de l’irrigation anarchique.
Est-il encore temps ?
La crise de l’eau place le Liban devant un choix crucial :
- Soit lancer un plan national global pour gérer les ressources hydriques et agricoles, intégrant l’agriculture climato-intelligente, l’investissement dans la collecte des eaux pluviales et une législation stricte pour encadrer l’usage de l’eau ;
- Soit persister dans les solutions de fortune, ce qui entraînerait l’effondrement progressif du secteur agricole, une flambée des prix pouvant atteindre 80 % sur certains produits de base, une montée du chômage rural, et un accroissement des déplacements internes.
L’agriculture, une question de survie nationale
La crise de l’eau n’est pas une affaire sectorielle touchant les seuls agriculteurs : c’est une urgence nationale qui concerne chaque citoyen libanais. Eau, nourriture et santé publique sont intimement liés, et l’inaction face à cette crise aura un coût économique et social très lourd.
Il n’est pas encore trop tard, mais la fenêtre de temps se referme. Soit des mesures radicales sont prises aujourd’hui, soit le Liban sera demain incapable de nourrir sa population et d’irriguer ses terres.
L’agriculture n’est pas un luxe, mais un pilier stratégique, économique et social. Tout investissement en ce domaine est un investissement dans la survie du pays.