Les États-Unis ne négligent à aucun moment un dossier régional ou international. Tous sont stratégiquement importants à leurs yeux, mais leurs priorités varient selon les urgences du moment et les dynamiques propres à chaque crise.
Aujourd’hui, bien que Washington reste engagé sur les dossiers israélo-palestinien, libanais et iranien, la Syrie revient au premier plan des préoccupations américaines.
Alors que les États-Unis avaient annoncé leur intention de se retirer de Syrie, ce retrait s’inscrit désormais dans le cadre d’un accord plus large avec la Russie. Washington chercherait à favoriser la fin du conflit en Ukraine, se disant même prêt à reconnaître la souveraineté russe sur la Crimée (selon les lignes d’avant 2022), et à assimiler les territoires de l’Est ukrainien contrôlés par Moscou à une forme de « Cisjordanie » ukrainienne.
Parmi les éléments possibles de cet accord : un retrait militaire conjoint des forces russes et américaines de Syrie.
Par ailleurs, la levée prochaine des sanctions américaines contre la Syrie – notamment celles imposées par la loi César – semble envisagée, mais à plusieurs conditions :
- La fermeture définitive des bases militaires russes à Tartous et Lattaquié ;
- Un accord entre Damas et les forces kurdes, calqué sur celui signé récemment entre le président syrien Ahmad al-Charaa et le commandant des Forces démocratiques syriennes (FDS), Mazloum Abdi. Ce dernier aurait été transporté à Damas par hélicoptère militaire américain pour sceller cet accord, avant de retourner dans le nord-est syrien. L’objectif affiché : établir un État syrien centralisé garantissant les droits des minorités, notamment druze et kurde.
Un point reste cependant flou : l’avenir des blocs gaziers et pétroliers offshore confiés à la Russie par le précédent régime. Aucun acteur ne semble vouloir aborder ce dossier sensible pour le moment.
Malgré les incursions israéliennes dans le sud syrien, la Syrie attire de nouveau les regards internationaux, non plus en tant que champ de bataille, mais comme potentiel terrain d’investissement politique et économique. Le Liban, en revanche, est perçu de plus en plus comme une problématique sécuritaire et militaire, plutôt que politique.
Des rumeurs évoquent une possible rencontre entre Donald Trump et le président Charaa à Riyad, en marge d’une visite prévue du président américain en Arabie saoudite. Le réchauffement des relations entre Damas, Riyad et d’autres capitales du Golfe rendrait cette rencontre plausible.
Un accord américano-turc sur la Syrie, avec l’aval d’Israël, semble également se dessiner. En témoigne l’arrêt récent des frappes turques sur les zones kurdes, la visite à Damas d’une délégation du Congrès américain comprenant deux figures républicaines influentes, et leurs entretiens avec Charaa et le ministre des Affaires étrangères Assad Sheibani — qualifiés de « très importants ».
Dans le cadre de ce même accord, les FDS ont commencé à céder certaines zones stratégiques — comme Tabqa et la région de l’Euphrate — aux forces gouvernementales syriennes. Ces transferts ont été précédés de réunions trilatérales entre responsables kurdes, syriens et turcs à Damas et Ankara.
Ce tournant marque la fin de l’ancienne entente russo-israélienne qui prédominait en Syrie. Désormais, c’est le tandem Washington-Ankara qui semble façonner le futur syrien. Lors de sa dernière rencontre avec Benyamin Netanyahou à la Maison-Blanche, Trump a même proposé d’intercéder auprès du président turc Recep Tayyip Erdoğan, saluant ouvertement ce dernier devant son homologue israélien pour souligner la solidité de la coordination américano-turque sur le dossier syrien.
Malgré une certaine prudence du Golfe face à l'influence croissante de la Turquie, les relations entre Ankara et les pays du Conseil de coopération du Golfe sont en progression. Le partenariat avec le Qatar reste fort, l’Arabie saoudite achète drones et armements turcs, et les relations avec Abou Dhabi, Mascate ou d’autres capitales arabes ne souffrent d’aucune tension apparente.
La Turquie semble avoir revu à la baisse ses ambitions en Syrie. Tirant les leçons de l’échec des Frères musulmans en Égypte sous Mohamed Morsi, Ankara adopte désormais un discours plus souple, visant à rendre le futur régime syrien plus acceptable aux yeux des monarchies du Golfe.
Dans cette nouvelle architecture, un nom se détache : celui du ministre syrien des Affaires étrangères, Assad Sheibani. Présent à la dernière Conférence de Munich, il a rencontré son homologue turc et bénéficie d’un bon ancrage tant à Washington qu’à Ankara. Certains le décrivent comme « le bras fort de Charaa » et un véritable « homme d’État ».
La Syrie fut longtemps considérée comme « le cœur battant du monde arabe », quelle que soit la nature de son régime. Mais aujourd’hui, une autre question se pose :
Serait-t-elle désormais en passe de devenir « le cœur battant des solutions » pour elle-même, le Liban, et toute la région ?