Est-ce donc le destin de Beyrouth à chaque tournant de sa vie politique, sociale, économique ou militaire ? Une fois de plus, le cœur de la capitale libanaise est partiellement paralysé sur le plan commercial, en raison de manifestations récurrentes devant le Parlement, accompagnées de fermetures répétées de la rue des Banques – axe vital – et du retour des blocs de béton, longtemps perçues comme un symbole de l’isolement de la ville vis-à-vis de ses habitants et visiteurs.
Après de nombreux efforts entrepris par les commerçants du centre-ville pour insuffler une nouvelle vie à ce quartier – ouverture de magasins, de succursales, relance de l’activité commerciale –, les tensions sécuritaires et politiques sont venues bouleverser cet élan. Les autorités invoquent sans cesse de nouveaux prétextes pour bloquer les routes, perturbant le trafic, réduisant l’affluence et plombant les ventes.
« Nous sommes épuisés. Nous avons investi, rénové, embauché du personnel, et à chaque session parlementaire, on se réveille avec les routes bloquées comme si nous étions en zone de guerre. Comment allons-nous survivre ? Qui va nous indemniser ? », témoigne Fadi El Hajj (nom d’emprunt), propriétaire d’une boutique de vêtements au centre-ville.
Samia El Khoury (nom d’emprunt également), qui vient d’ouvrir un café près de la place Nejmeh, ajoute :
« Nos clients sont des employés, des touristes, des riverains. Mais chaque fermeture nous coûte au moins une journée, parfois plus. Les gens commencent à éviter la zone par crainte des tensions. »
Le problème ne réside pas dans les manifestations elles-mêmes, mais dans la manière dont les autorités les gèrent. Le droit de manifester est garanti, mais s’en servir comme justification pour fermer une artère aussi essentielle que la rue des Banques – véritable poumon économique – ne fait qu’aggraver la crise commerciale qui frappe le Liban depuis des années.
Par ailleurs, le choix récurrent d’organiser les sessions parlementaires dans un quartier aussi dense n’est plus justifiable, alors que des alternatives existent, comme le Palais de l’UNESCO, qui a prouvé ces dernières années sa capacité à accueillir les réunions parlementaires dans de bonnes conditions, sans paralyser les marchés.
Propositions concrètes :
- Délocaliser les sessions parlementaires vers le Palais de l’UNESCO ou un autre site en dehors des zones commerciales sensibles afin d’alléger la pression sécuritaire sur le centre-ville.
- Encadrer les manifestations dans des espaces clairement définis pour garantir la liberté d’expression tout en préservant la circulation et l’activité économique.
- Associer la municipalité de Beyrouth et la Chambre de commerce aux dispositifs de sécurité pour permettre aux commerces de rester ouverts pendant les séances parlementaires.
- Accorder des allègements fiscaux temporaires ou des compensations aux commerçants touchés par les fermetures récurrentes.
- Créer une cellule de crise conjointe entre commerçants et forces de sécurité pour évaluer les effets sur le terrain et proposer des solutions rapides et souples.
Le centre-ville de Beyrouth n’est pas qu’un centre politique : c’est un cœur battant de mémoire, de culture et d’économie. Ce qui se joue aujourd’hui menace son identité commerciale et fait fuir les entrepreneurs qui croyaient encore en sa renaissance. Il est temps de trancher politiquement : voulons-nous rendre à Beyrouth son rôle de centre économique vivant, ou la maintenir prisonnière de querelles politiciennes et de décisions sécuritaires chaotiques ?