Les observateurs bien informés sur la position américaine brossent un tableau plutôt sombre de l’avenir du Liban et de la région, à la lumière de la politique étrangère menée par l’administration du président Donald Trump et des réactions qu’elle continue de susciter à travers le monde.

Dans le cas libanais, la situation semble particulièrement déséquilibrée. Israël dispose de tout le temps nécessaire, tandis que le Liban, lui, n’a ni temps ni perspectives. Nul ne devrait se faire d’illusions : la communauté internationale ne fera pas pression sur Israël pour qu’elle se retire des territoires libanais occupés. L’État hébreu poursuit ses opérations au Liban comme en Syrie, pendant que Washington concentre son attention sur les zones susceptibles de générer des bénéfices, se désintéressant de celles qu’elle considère comme des pertes économiques.

Cette logique guide la première tournée internationale de Trump depuis son arrivée à la Maison-Blanche, avec des escales prévues en Arabie saoudite, au Qatar, aux Émirats arabes unis, et possiblement à Bahreïn et au Koweït. Ces pays sont devenus cruciaux dans la stratégie américaine, notamment depuis que les États-Unis ont pris le contrôle d’une large part de l’approvisionnement énergétique mondial, à la suite de la coupure du gaz russe vers l’Europe. Washington exporte désormais du gaz vers l’Europe via plusieurs sources, notamment l’Algérie (grâce à des entreprises américaines), la Norvège (membre de l’OTAN mais non de l’UE), et l’Azerbaïdjan. Cette diversification a rendu l’Europe dépendante du gaz d’origine américaine, rompant avec la logique idéologique de la guerre froide opposant les États-Unis à l’ex-URSS.

Pour le reste du monde, Trump ne voit que « pertes sur pertes ». Il n’envisage pas d’intervenir dans des zones jugées peu rentables. Un exemple révélateur : les négociations directes menées par son administration avec les Talibans au Qatar durant son premier mandat, qui ont abouti au retrait américain d’Afghanistan. Même si Daech reprenait l’Irak, les États-Unis n'interviendront pas. Quant à la Syrie, elle est laissée à la Turquie et à Israël, bien que certains s’attendent à ce que la Turquie réalise progressivement que son intervention ne lui apportera pas les bénéfices escomptés.

Trump accorde une priorité absolue au Golfe, suivi de l’Égypte et de la Jordanie, deux pays liés à Israël par des traités de paix (Camp David et Wadi Araba). Malgré une relation prudente ces dernières années entre Washington et Riyad, un regain d’enthousiasme est perceptible, de même qu’avec les Émirats et le Qatar (qui abrite la base d’al-Udeid), Bahreïn (siège de la Cinquième flotte américaine) et le Koweït (où se trouve la plus grande base terrestre américaine de la région).

Pourtant, l’Égypte et la Jordanie s’inquiètent de plus en plus, se sentant délaissées par Washington – à l’instar du Liban, qui a vu les aides américaines s’effondrer dans plusieurs domaines, de l’Université américaine de Beyrouth à la Fondation René Moawad, à l’exception de l’aide militaire à l’armée libanaise. Le Liban se sent désormais relégué au second plan. Les États-Unis ont aussi imposé des droits de douane de 25 % à leurs alliés européens et suspendu les financements de l’UNICEF, du PNUD et de l’UNRWA, sans que la Chine ou la Russie ne semblent vouloir combler ce vide.

Aujourd’hui, le Liban ressemble de plus en plus à la Syrie. Les récents bombardements israéliens contre la banlieue sud de Beyrouth rappellent ceux qui ont visé le quartier de Mazzeh à Damas. Par ailleurs, il est peu probable que Washington opte pour une solution militaire contre l’Iran. Trump, qui a visité la Corée du Nord — qu’il considérait alors comme plus menaçante que l’Iran —, n’ira pas en guerre contre Téhéran, qu’il juge désormais comme un mal moindre. Il préfère négocier sur le nucléaire et d’autres dossiers brûlants.

La vision du monde selon Trump repose sur l’idée que les États-Unis représentent 27 % du PIB mondial. Dès lors, il ne voit aucune raison d’offrir des garanties de sécurité à d’autres États, y compris le Liban, qu’il considère comme une cause perdue. Il ne prévoit pas de nouvelles guerres et agit selon un proverbe populaire : « Que les pastèques se cassent entre elles. » Il a même reconnu, lors d’une occasion, que les États-Unis avaient commis une erreur en renversant Saddam Hussein, espérant faire de l’Irak une nouvelle « Japon », pour découvrir ensuite que les Irakiens ne le souhaitaient pas. Il les a alors laissés se débrouiller seuls.

Selon les analystes, l’administration Trump ne cherche pas à dominer le monde, mais à défendre exclusivement les intérêts américains. Trump se méfie des alliances et des traités, préférant ne garantir la sécurité de personne. Sa logique : « Chacun pour soi, Dieu pour tous. » En revanche, si quelqu’un menace les intérêts américains, il répliquera sans hésiter.

Du point de vue de Trump, ce qui se passe au Liban n’est qu’un simple « désordre passager ». L’idée selon laquelle les États-Unis ne peuvent se désintéresser du Liban sous prétexte qu’ils y ont construit leur plus grande ambassade au Moyen-Orient est, pour lui, sans importance. Que le Liban normalise ou non ses relations avec Israël ne le concerne pas — c’est un choix laissé aux Libanais. Et si Israël poursuit ses bombardements dans le sud du Liban, Washington n’aura aucun mot à dire.

Il est donc probable que la visite de l’émissaire américain Morgan Ortagus à Beyrouth n’ait eu pour but que de « transmettre un message » : si le Liban ne se conforme pas aux exigences américaines, notamment le retrait au nord du fleuve Litani et le désarmement du Hezbollah, Washington ne pourra rien faire pour l’aider. En cas de crise, le Liban pourrait bien se retrouver dans la situation décrite par la célèbre chanson de Fayrouz : « N’appelle pas, il n’y a personne. »

La dernière visite d’Ortagus contrastait nettement avec la précédente : elle s’est montrée calme, diplomatique, à l’opposé de son ton habituellement ferme. Ce changement a soulevé des interrogations : s’agit-il du calme avant la tempête ? Ou bien Washington se désengage-t-il simplement, laissant les Libanais gérer eux-mêmes leur crise ? À travers Ortagus, les États-Unis semblent les inciter à procéder aux nominations nécessaires, à redresser le secteur financier et bancaire, sans pour autant relancer une médiation active comme celle menée par Amos Hochstein lors des négociations sur les frontières maritimes.

Pendant ce temps, Israël a confié à une entreprise l’exploration d’un bloc gazier attenant aux eaux libanaises. Le Liban, lui, n’a encore attribué aucun bloc et n’a pas réussi à convaincre Total de reprendre les forages dans le champ de Qana.