Quand la crise devient moteur de créativité

Au Liban, les crises s’enchaînent, mais la résilience reste la marque de fabrique d’un peuple qui refuse de céder.

Face à une économie en lambeaux, à une monnaie dévaluée et à des importations hors de prix, un mouvement spontané s’impose : « Acheter libanais ».

Ce n’est plus seulement un slogan patriotique, mais une philosophie de vie.

Dans les marchés, les pharmacies, les cafés ou sur les réseaux sociaux, les consommateurs redécouvrent avec fierté des marques locales longtemps éclipsées par les géants internationaux.

Et si la crise avait, malgré tout, réveillé un sens nouveau de la consommation ?

Une nécessité devenue conviction

Depuis 2019, la chute vertigineuse de la livre libanaise a bouleversé les habitudes d’achat. Les produits importés, souvent vendus en dollars, sont devenus inaccessibles pour la majorité des Libanais.

Face à cette réalité, les marques locales se sont imposées comme une alternative évidente.

Selon une étude Ipsos publiée en 2024, 72 % des Libanais privilégient désormais les produits locaux, et 65 % estiment qu’ils représentent mieux leurs valeurs et leur identité.

Un chiffre révélateur d’une prise de conscience collective, née de la contrainte mais nourrie par la fierté.

L’alimentaire, pilier du renouveau local

Dans les rayons des supermarchés ou sur les étals des souks, les produits du terroir reprennent leur place.

Des marques comme The Good Thymes, Mymoune, ou L’Atelier du Miel allient tradition et modernité, offrant des produits artisanaux de qualité, emballés avec soin et vendus sur les plateformes locales.

L’huile d’olive du Sud ou des plaines du Nord, le zaatar de la Bekaa ou les confitures maison rivalisent désormais avec les produits importés.

Et derrière chaque pot ou bouteille, une histoire de famille, de transmission et de résistance.

Beauté et bien-être « made in Lebanon »

Autre secteur en plein essor: les cosmétiques naturels libanais.

Grâce à des marques comme Beesline, Botanika, Skinlab ou Souk el Tayeb Beauty, le Liban s’impose comme un hub régional du soin éthique et écologique.

Inspirés de la nature méditerranéenne, ces produits à base de miel, d’huile d’olive, de plantes et d’arômes locaux séduisent une clientèle jeune, connectée et consciente des enjeux environnementaux.

Les pharmacies et boutiques de beauté locales affichent désormais fièrement la mention « Proudly Made in Lebanon », symbole d’un renouveau cosmétique durable et responsable.

La mode locale comme déclaration d’identité

La scène de la mode libanaise n’est pas en reste.

Des créatrices comme Sarah’s Bag, Vanina, ou Bokja transforment le chaos ambiant en source d’inspiration.

Leurs collections, faites à la main et portées dans les défilés de Paris à Dubaï, racontent l’histoire d’un pays qui résiste par la beauté.

Ces marques mêlent artisanat, recyclage et empowerment féminin.

Elles prouvent que le « Made in Lebanon » peut être synonyme de luxe et de conscience sociale.

Chaque sac, chaque bijou devient un manifeste : acheter libanais, c’est aussi porter le Liban.

Des défis bien réels

Pourtant, le chemin reste semé d’embûches.

Les entrepreneurs locaux affrontent des coupures d’électricité, une inflation incontrôlable, et un manque criant de soutien public.

Les coûts de production montent, les exportations peinent, et la concurrence régionale reste rude.

Sans politiques économiques adaptées, le mouvement « Acheter libanais » repose encore largement sur la solidarité et l’initiative citoyenne.

Une nouvelle culture de consommation

Le phénomène dépasse désormais le cadre économique.

Acheter libanais, c’est revendiquer une appartenance, affirmer une identité, et soutenir une communauté.

C’est aussi une forme d’écologie quotidienne : moins d’importations, plus de circuits courts, plus de lien humain.

Les jeunes, notamment ceux de la diaspora, sont les premiers ambassadeurs de cette révolution silencieuse.

Sur Instagram, des hashtags comme #BuyLebanese, #SupportLocal, ou #ProudlyMadeInLebanon se multiplient.

Entre les photos de plats traditionnels revisités et les looks signés de créateurs locaux, une nouvelle esthétique libanaise voit le jour: fière, résiliente, et résolument moderne.

Plus qu’un choix, un acte de résistance

Dans un pays où tout semble précaire, consommer local est devenu un acte de résistance douce, mais puissante.

C’est refuser de subir, choisir de construire, et croire encore à un avenir fait de travail, de créativité et de solidarité.

Le « Made in Lebanon » n’est pas un simple label.

C’est un symbole d’espoir collectif, une manière de réaffirmer la valeur du travail local dans un contexte mondial incertain.

Acheter libanais, c’est redonner du sens à la consommation, et replacer le citoyen au cœur de l’économie.