Le tourisme a toujours été l’un des piliers de l’économie libanaise, contribuant à la croissance du PIB, à l’augmentation des recettes, à l’injection de devises étrangères sur le marché, à l’essor des investissements et à la création d’emplois. Le Liban possède des atouts humains et naturels considérables, et sa vie nocturne, artistique et culturelle en fait une destination aux offres variées : tourisme archéologique, patrimonial, écologique, religieux ou encore médical.

Malgré la succession des guerres, des incidents et des crises, le secteur touristique a su faire preuve de résilience, en gardant l’espoir d’un retour à la stabilité et à la prospérité. La stabilité sécuritaire et politique constitue la base essentielle, et les Libanais n’ont jamais manqué de créativité en matière de promotion et de marketing. Quant aux infrastructures, le secteur privé a souvent comblé, tant bien que mal, les défaillances de l’État.

Cependant, avec l’émergence du Hezbollah sur la scène libanaise, porteur d’un discours religieux et d’une vision idéologique, plusieurs régions ont été progressivement rayées de la carte touristique traditionnelle. À leur place, le parti a introduit un nouveau genre : le « tourisme jihadiste ». L’exemple le plus emblématique est le « site de Mleeta pour le tourisme jihadiste et la lutte armée », inauguré au Sud en 2010. Un projet similaire a vu sa première pierre posée à Janta, dans la Békaa, en 2022.

Selon le chef du bloc parlementaire du Hezbollah, le député Mohammad Raad, fréquenter les plages ou les boîtes de nuit relève d’une certaine frivolité chez certains Libanais. Lors d’un discours prononcé pendant la commémoration de l’Achoura, le 12 novembre 2013, il exposait clairement la vision de son parti : « Nous sommes à l’ère de la résistance... Le vrai visage du Liban aujourd’hui est celui de la résistance. Avant la résistance, le Liban n’apparaissait même pas sur la carte mondiale, à cause de sa petite taille et de son absence de rôle. Il n’était qu’un terrain de jeux nocturnes, de combines, de services douteux et de blanchiment d’argent. Voilà ce qu’était le Liban. Aujourd’hui, il faut bâtir un nouveau Liban en accord avec l’existence de la résistance. »

Plusieurs événements illustrent cette position du Hezbollah à l’égard de la musique, de la danse et de la culture. Ainsi, la chaîne Al-Manar a refusé de transmettre un concert exceptionnel de l’Orchestre philharmonique libanais, tenu le dimanche 5 juillet 2020 sur les marches du temple de Bacchus à Baalbek, sous le slogan « La voix de la résilience ». Le parti a également interdit la diffusion des chansons de la grande artiste libanaise Fayrouz sur le campus universitaire de Hadath, ainsi que la célèbre danse folklorique, la « dabké » à Zawtar, entre autres interdictions. Dans les zones sous son influence, les boissons alcoolisées et les piscines mixtes sont proscrites, limitant de facto l’activité touristique, même dans des sites historiques comme la citadelle de Baalbek.

Ces pratiques ont conduit à une « fédéralisation » du tourisme au Liban. En pratique, chaque région suit aujourd’hui ses propres règles, avec des zones qui favorisent le tourisme traditionnel et d’autres qui privilégient le « tourisme de la résistance ».

Avec l’évolution possible du paysage politique libanais et les discussions sur la reprise du contrôle total du territoire par l’État, une question fondamentale se pose : quand l’État fera-t-il respecter les lois libanaises garantissant la liberté de croyance et d’expression, empêchant ainsi toute faction d’imposer ses vues dans sa zone d’influence ? Pourrait-on espérer un climat favorable au tourisme sur l’ensemble du territoire libanais ?

En réalité, la réponse à cette question demeure en suspens, tant que la guerre actuelle continue d’imposer une forme de fédéralisme touristique, surtout en été, pour des raisons sécuritaires. Les Libanais de la diaspora ainsi que les touristes arabes et étrangers – quel que soit leur nombre – se concentreront principalement à Beyrouth, dans le Mont-Liban (surtout le nord) et dans les régions du Nord. Pendant ce temps, les raids et assassinats se poursuivent au Sud, dans la Békaa et la banlieue sud de Beyrouth, maintenant ainsi un Liban divisé en deux.

Même si « l’ère de la résistance » annoncée par Raad semble tirer à sa fin, ses effets persistants sur le secteur touristique ne disparaîtront pas d’un coup. Il faudra briser le mur de la peur, faire appliquer la loi libanaise protectrice de tous, et tourner au plus vite la page d’un État absent ignorant son propre rôle.