Ceux qui misent sur les élections municipales et locales pour prédire le résultat des législatives de l’année prochaine se trompent lourdement. Chaque scrutin a ses propres dynamiques : les municipales sont locales, fortement influencées par les liens familiaux, voire personnels, et il n’existe aucun modèle unique pour la formation des listes électorales d’un village à l’autre. Une coalition dans une localité peut être totalement différente dans une autre — et même les partis peuvent voir leurs membres s’affronter sur des listes rivales.
Par ailleurs, les municipales obéissent à un système majoritaire et non proportionnel, ce qui permet aux électeurs de composer leurs listes à leur guise, sans être contraints par des listes fermées ni par un vote préférentiel.
Les élections législatives, elles, sont régies par un système proportionnel. Si certaines exceptions existent pour des raisons régionales, les alliances se forment généralement autour d’une vision politique commune, avec pour objectif d’obtenir une majorité parlementaire et d’exercer le pouvoir.
Les partis politiques et figures engagées dans la bataille législative prennent les électeurs au sérieux. En l’absence de programmes clairs, les candidats ont parfois recours à des incitations — financières, professionnelles ou en services. L’héritage familial et le féodalisme encore présents jouent aussi un rôle important dans les choix des électeurs.
La première phase des élections municipales s’est tenue dimanche dernier dans le Mont-Liban, dont les six districts résument, par leur composition communautaire et confessionnelle, l’ensemble du tissu libanais. Les prochaines étapes — demain dans le Nord et à Akkar, le 17 mai à Beyrouth, Zahlé et Baalbek-Hermel, puis le 24 mai dans le Sud et à Nabatieh — devraient refléter les mêmes tendances et significations.
Quel courant chiite ou quelle figure indépendante pourrait sérieusement espérer percer les listes de l’alliance Amal-Hezbollah dans la Békaa ou le Sud ? Les résultats à Baabda, notamment, ont démontré la fidélité sans faille de leur base.
Il en va de même chez les Druzes : l’entente entre le Parti socialiste progressiste et le Parti démocratique libanais a écarté tout danger sur leurs listes communes — un accord dicté par la guerre en Syrie, la situation des Druzes dans ce pays, et la menace que représente Israël sur la région et la communauté druze libanaise.
Chez les sunnites, l’absence du Courant du futur et le retrait de Saad Hariri ont fragmenté l’électorat, notamment dans l’Iqlim el-Kharroub, sans qu’aucune figure n’émerge comme leader incontesté. Le véritable test aura lieu demain à Tripoli et à Akkar, puis la semaine suivante à Beyrouth.
Côté chrétien, les partis qui se sentent aujourd’hui en position de force — certains ayant tenté d’éliminer leurs rivaux — n’ont pas connu une victoire écrasante dans le Mont-Liban. Malgré leurs tentatives de présenter leurs scores comme un « message populaire », ceux que l’on disait finis ou rayés de la carte politique ont affronté ce scrutin soit seuls, soit alliés à des forces locales, des familles, et des visages jeunes. Et ils ont obtenu des résultats jugés remarquables par les analystes et les spécialistes des chiffres.
Quant aux soi-disant « forces du changement », leur absence fut frappante : aucun écho, aucune victoire, et beaucoup ont préféré rester neutres.
Il est certain que les prochaines phases du scrutin tireront les leçons de cette première étape — comme ce fut le cas en 2005 lors des élections législatives. À l’époque, le général Michel Aoun avait surpris tout le monde, après 15 ans d’exil en France, en déclenchant un véritable « tsunami » dans le Mont-Liban, forçant les partis traditionnels à se mobiliser fortement dans les autres régions.
Aujourd’hui, des observateurs notent que le Courant patriotique libre (CPL) a déjà surpassé ses résultats municipaux précédents, en remportant davantage de sièges de maires, de conseillers municipaux et de mokhtars dans le Mont-Liban que dans l’ensemble du Liban lors du cycle précédent. Même là où ses listes ont perdu, les résultats obtenus en solo ont dépassé ceux de tous les autres partis, pris individuellement.
Alors que le CPL s’est présenté presque seul à ces élections, avec des alliances limitées à des acteurs locaux, une question cruciale se pose : que se passera-t-il lors des législatives de l’année prochaine, dans un climat où de nombreux partis cherchent à l’isoler ? Depuis 2019, il fait face — selon ses propres mots — à une « tentative d’assassinat politique ». Il a quitté le pouvoir, perdu des députés, tandis que d’autres partis revendiquent haut et fort leur victoire contre le Hezbollah, leur rôle dans la chute du régime syrien, l’élection du président et la formation du gouvernement.
Un observateur avisé a rappelé une phrase du président Michel Aoun, prononcée lors de son retour d’exil, alors qu’il faisait face à des campagnes visant à l’isoler, lui et son mouvement. Elle résonne encore aujourd’hui à l’adresse de ceux qui parient sur leur chute :
« Je suis le peuple… Je ne peux être isolé. »