Forger une image et susciter une impression durable nécessitent un travail cumulatif, une persévérance constante et du temps — que ce soit pour un individu ou un groupe. À l’inverse, il suffit d’un instant, d’une seule faute équivalente à un péché, pour briser cette image et anéantir cette impression. Une erreur fragilise, un péché détruit.
À la fin de la guerre du Liban en 1990 — une guerre dont toutes les milices sont sorties entachées, peu importe la noblesse de leur cause, y compris le Hezbollah — ces groupes ont tenté de reconstruire leur image. Ils ont cherché à se transformer, passant du combat armé à la lutte politique, et leurs chefs militaires se sont reconvertis en figures étatiques, intégrant le Parlement et les ministères.
Seul le Hezbollah, épargné du désarmement grâce au renversement de l’accord de Taëf, à un rapport de force favorable et à son rôle dans l’axe syro-iranien, a reconstruit son image sur le plan militaire. Il a troqué l’image de la milice contre celle de la « résistance », dissimulant ses affrontements sanglants avec Amal, les communistes et d’autres, pour focaliser l’attention sur son combat contre Israël.
Avec le retrait israélien du Liban le 25 mai 2000, qu’il attribua à ses propres attaques, et sa promesse d’éradiquer Israël, qu’il qualifia de « plus fragile que la toile d’araignée », le Hezbollah s’est hissé au sommet de la popularité dans la rue arabe. Son secrétaire général, Hassan Nasrallah, est devenu une icône adulée, tant chez les islamistes que chez les nationalistes arabes et les gauchistes. La cause palestinienne, que le Hezbollah proclamait comme centrale, trouvait en lui un nouveau champion.
Mais l’image s’est fissurée avec la résolution 1559, l’assassinat de Rafic Hariri le 14 février 2005, et le rôle du Hezbollah à la tête du mouvement du 8 mars, allant jusqu’à brandir la banderole « Merci la Syrie ». Toutefois, la guerre de juillet 2006, à travers son affrontement avec Israël et l’enlèvement de deux soldats israéliens, lui a permis de regagner du terrain dans l’opinion.
Tout a basculé le 7 mai 2008, lorsque le Hezbollah a lancé une attaque armée contre Beyrouth, utilisant ses armes sur le sol libanais. Cette action, peu importe les raisons invoquées — réseau de télécommunications, postes sécuritaires, ou crainte pour son arsenal — a été perçue comme le péché originel. Elle a brisé l’image de résistance construite avec tant de soin, non seulement au Liban, mais dans tout le monde arabe. Même si Hassan Nasrallah a qualifié cette journée de « glorieuse », elle a marqué un tournant : le début du compte à rebours vers la perte de ses armes.
Entre le 7 mai 2008 et le 7 mai 2025, beaucoup de choses ont changé. À l’époque, le Hezbollah était :
- en pleine possession de ses moyens militaires et sécuritaires ;
- fort de sa puissance retrouvée après la guerre de 2006 et l’accord de Mar Mikhaël ;
- soutenu par un axe de résistance robuste, avec une Syrie encore stable ;
- bénéficiaire du vide présidentiel ;
- sûr que l’armée libanaise, bien qu’équipée, ne bougerait pas sans feu vert politique ;
- convaincu de la faiblesse du camp du 14 mars.
Aujourd’hui, la situation est bien différente. Le Hezbollah :
- a perdu sa supériorité sécuritaire et militaire, ses stocks ayant été détruits ou coupés de leurs lignes d’approvisionnement. Des milliers de combattants aguerris ont été éliminés en quelques secondes par une frappe électronique inédite sur ses pagers. Il a aussi perdu de nombreux cadres historiques ayant combattu au Liban, en Bosnie, au Yémen et en Syrie ;
- fait face à une base militante démoralisée par l’échec de la dissuasion contre Israël et l’absence de reconstruction. La suprématie de la « chi’ité politique » semble révolue ;
- n’a plus de soutien stratégique, le régime Assad s’étant effondré et les canaux de financement et d’armement étant taris ;
- se confronte à une présidence déterminée à affirmer l’autorité de l’État et l’exclusivité des armes entre ses mains ;
- sait que l’armée libanaise bénéficie d’un mandat clair pour faire respecter la sécurité intérieure, comme l’a démontré l’affaire de Tayyouneh ;
- est scruté par la communauté internationale, qui ne tolérera plus aucun soulèvement armé ;
- est affaibli face à une décision internationale ferme de démanteler les réseaux iraniens et face à l’incertitude sur l’avenir du régime de Téhéran.
En 2008, le Hezbollah avait pris les armes en réponse à une nomination sécuritaire à l’aéroport. Aujourd’hui, malgré de vastes restructurations à l’aéroport, la fermeture du « corridor militaire » et l’interdiction d’atterrissage pour les avions iraniens, sa réponse s’est limitée à un simple blocage de route pour quelques heures.
En 2008, il disait vouloir défendre son réseau de télécommunication filaire. Aujourd’hui, ses tunnels sont détruits, et sa structure de communication a subi une frappe électronique majeure rendant ses équipements obsolètes face à la supériorité technologique et aux infiltrations israéliennes.
Quelle que soit la menace que le Hezbollah brandit aujourd’hui — « toute main qui tentera de toucher à ses armes sera coupée » — la réalité est que le désarmement est déjà en cours, que ce soit par la persuasion ou par la force israélienne. Le Hezbollah est désormais incapable de commettre un second « 7 mai ». L’époque a changé, définitivement.