Les actions du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu en Syrie vont bien au-delà de la protection de la minorité druze ou de la réponse aux avancées du gouvernement syrien dans le sud. Elles reflètent plutôt une stratégie expansionniste croissante, façonnée par le choc du 7 octobre 2023 — un jour que Netanyahu a qualifié de « 11-Septembre israélien » et de « nouvelle Nakba ». À cette époque, l’un des dirigeants les plus radicaux d’Israël s’était engagé à remodeler le Moyen-Orient, une promesse qu’il poursuit activement par des frappes contre ce qu’il appelle l’Axe de la Résistance, le Hezbollah et son allié clé, l’Iran. Ces efforts ont culminé avec la chute du président syrien Bachar al-Assad — un événement sismique considéré comme un pilier de cette stratégie plus large.

Le jour même de l’effondrement du régime d’Assad, le 8 décembre 2024, Netanyahu a donné le feu vert à l’opération « Flèche de Bashan », visant le nouveau gouvernement syrien fraîchement établi. Bien que les nouvelles autorités aient émis des déclarations rassurantes, Israël reste méfiant à l’égard de leurs penchants islamistes et ne fait pas confiance à leurs engagements.

Si Assad était un ennemi farouche d’Israël, il était aussi perçu comme rationnel et discipliné. Il servait surtout de canal pour les armes iraniennes destinées au Hezbollah — l’ennemi juré de Netanyahu. Ce dernier a d’ailleurs qualifié l’ancien chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, de « l’axe de l’axe », suggérant que Téhéran suit ses directives, et non l’inverse. Nasrallah a été ciblé pour un assassinat le 27 septembre 2024.

Aujourd’hui, le groupe islamiste Hay’at Tahrir al-Cham (HTS), avec le soutien massif de la Turquie, a pris le contrôle de Damas après l’écrasement des forces iraniennes et du Hezbollah. Le Département d’État américain classe toujours le HTS comme organisation terroriste, et Netanyahu soutient depuis longtemps que les idéologies terroristes ne meurent jamais vraiment — un argument qu’il avance souvent à huis clos pour défendre son nouveau projet syrien.

L’objectif ultime de Netanyahu semble être le démantèlement complet de la structure étatique actuelle de la Syrie, l’approfondissement des fractures entre le régime et les groupes minoritaires, et l’ouverture à une fragmentation du pays — une stratégie visant à assurer la domination israélienne en éliminant les menaces dans son voisinage.

Rompre avec la dépendance passée aux accords de paix ou aux guerres limitées, Israël adopte désormais une doctrine d’expansionnisme préventif. L’idée : exploiter les « vides » régionaux pour créer des zones tampons et neutraliser les menaces futures. L’objectif est d’encourager des régimes politiques soit hostiles aux mouvements de résistance, soit trop fragiles pour les soutenir. Une fois de plus, la Syrie devient le terrain d’expérimentation.

Netanyahu redoute l’émergence d’un État syrien fort, stable et dirigé par les sunnites avec l’appui de la Turquie, percevant la majorité arabe sunnite comme une menace démographique et culturelle à long terme pour l’existence d’Israël. Cette crainte justifie l’implication militaire directe d’Israël en Syrie.

Bien que l’armée israélienne communique rarement les détails de ses opérations, son empreinte s’est accrue de manière constante. Les forces israéliennes opèrent désormais à 15 à 20 kilomètres de Damas, occupent des territoires au-delà du mont Hermon et des hauteurs du Golan oriental, et détiennent une domination aérienne totale. En pratique, elles contrôlent toute la région jusqu’à Sweida, en imposant des lignes rouges que Sharaa et ses milices alliées ne peuvent franchir.

Au départ, Israël affirmait vouloir établir une « zone défensive assainie » dans le sud de la Syrie, une présence temporaire visant uniquement à contrer les « menaces terroristes ». Pourtant, aucun calendrier de retrait n’a été annoncé. L’occupation semble profondément liée à la stratégie militaire plus large d’Israël au Liban, suggérant un plan unifié pour affaiblir et fragmenter ses voisins.

Dans ce contexte, les frappes aériennes israéliennes prennent une dimension stratégique plus large, visant les infrastructures militaires et sécuritaires sous prétexte de protéger les Druzes — une communauté qu’Israël présente désormais comme le flanc vulnérable de la Syrie.

En effet, Israël mène l’une de ses campagnes multi-fronts les plus vastes dans l’histoire récente de la Syrie — par air, terre et mer. Bien qu’il existe une réelle sympathie en Israël envers les Druzes et une inquiétude face à un possible massacre semblable à celui des Alaouites, le débat interne s’intensifie. Les critiques alertent sur le risque d’élargissement des objectifs, le manque de clarté et la possibilité de surexploitation de l’armée dans un conflit obscur.

La priorité stratégique demeure la victoire à Gaza, la libération des otages et le démantèlement des ambitions nucléaires de l’Iran. Une erreur de calcul en Syrie pourrait ouvrir un front prolongé et imprévisible, susceptible d’impliquer la Turquie — un scénario aux lourdes conséquences géopolitiques.

C’est la préoccupation des milieux israéliens de recherche et de stratégie. Mais pour Netanyahu, l’occasion de redéfinir l’histoire est trop importante pour être ignorée. Sous couvert de protection des Druzes, il poursuit l’annexion de territoires en Syrie, se positionnant en bâtisseur de nation au même rang que les pères fondateurs d’Israël.

L’accord de Sharaa avec les Druzes : une convergence d’intérêts temporaire

Quelles que soient les modalités de l’accord récemment conclu entre le nouveau gouvernement syrien et les dirigeants druzes — accord qui représente une victoire symbolique pour l’État, avec des concessions de groupes armés et une large amnistie — ce pacte rappelle des ententes antérieures, telles que celle conclue par l’ancien président syrien Ahmad Sharaa avec les Kurdes. Cet accord s’était révélé fragile et facilement annulé face à l’évolution du contexte.

De son côté, Netanyahu ne se contentera probablement pas de cet accord. À ses yeux, la situation reste instable et l’avenir incertain. Le défi central réside dans la redéfinition de la construction étatique et la restauration de la confiance entre le gouvernement et sa population multiethnique et multiconfessionnelle — un objectif que les nouvelles autorités n’ont pas encore su atteindre.

Bien que des armes aient été collectées dans les zones à majorité druze, de nombreuses factions rebelles — dont certaines composées de combattants étrangers — continuent d’agir indépendamment, exerçant un pouvoir parallèle à celui de Sharaa.

Rien ne garantit que cette nouvelle phase assurera la sécurité ou les droits des groupes minoritaires. La consolidation de la confiance doit être prioritaire, et tout ordre politique durable doit rejeter la domination au profit d’un système civil et inclusif.

Pour Sharaa, cela implique de consolider son autorité, d’obtenir un soutien turc renforcé pour maîtriser les milices, et de gagner une légitimité internationale plus large — des étapes qui restent hors de portée tant que les sanctions actuelles perdurent.

Dans le même temps, il subit un revers majeur sur le plan de la crédibilité : l’incapacité à déployer ses troupes dans certaines régions du sud syrien. Toute zone démilitarisée dans le sud affaiblirait considérablement le contrôle gouvernemental sur la région.

Il est probable que la situation reste dans un équilibre délicat, géré par l’influence des États-Unis. Washington a condamné les attaques contre les Druzes et appelé à un gouvernement représentatif de toutes les composantes de la société syrienne. Un message clair adressé à Sharaa, menaçant potentiellement sa position s’il persiste sur sa trajectoire actuelle.

La seule option viable pour Damas est d’intégrer les Druzes, et pour ces derniers, de réaffirmer leur unité territoriale avec la capitale et de renoncer à toute protection étrangère. Cela pourrait offrir une brève opportunité de sortir de la crise — du moins pour l’instant.