Le Liban entame enfin depuis dimanche 4 Mai, ses élections municipales et celles des mairies, longtemps attendues — un exercice démocratique que les Libanais n’ont plus connu depuis 2022, après avoir été reporté à trois reprises.
Le premier report, en 2022, s’expliquait par la coïncidence avec les élections législatives. Le deuxième, en 2023, était dû à l’incapacité de l’État à fournir les fonds nécessaires. Le troisième, l’an dernier, a eu lieu alors qu’Israël lançait une guerre contre le Liban — guerre dont les effets se font encore sentir aujourd’hui.
Les élections se dérouleront en quatre phases selon les huit mohafazats : le Mont-Liban vote le 4 mai ; le Liban-Nord et Akkar, le 11 mai ; Beyrouth, la Békaa et Baalbek-Hermel, le 18 ; enfin, le Liban-Sud et Nabatiyeh voteront le 25 mai — une date qui coïncide, comme par hasard, avec la fête de la Libération.
Bien que les élections municipales aient été réintroduites tardivement au Liban — seulement en 1998 après des décennies d’interruption —, elles ne sont pas nouvelles dans l’histoire du pays. Autrefois, les villes libanaises fonctionnaient comme des royaumes autonomes, avec des traditions démocratiques qui précédaient de loin celles de nombreux États modernes.
L’égyptologue Flinders Petrie atteste de l’existence de structures municipales en Phénicie dès le XIVe siècle avant notre ère. Et le « Rapport de Wen-Amon », datant du XIe siècle av. J.-C., confirme l’abondance des assemblées municipales dans les cités phéniciennes.
Ce qui frappe cette année, c’est l’enthousiasme d’une nouvelle génération de jeunes hommes et femmes. Ils ont formé des listes électorales dans diverses régions, et les experts en sondages observent de près pour voir s’ils réussiront à bousculer les résultats — ou s’ils seront déçus par les urnes.
Autre fait marquant : plusieurs anciens candidats aux législatives se présentent cette fois aux municipales, preuve de l’importance croissante de la gouvernance locale.
Mais bien souvent, les dynamiques familiales et les particularités de chaque village prennent le pas sur les logiques partisanes. Certains partis ont laissé carte blanche à leurs électeurs ; d’autres s’engagent dans cette bataille avec une logique politique, s’appuyant sur une force illusoire. Ils présentent les enjeux dans certaines villes symboliques comme des batailles épiques — à la manière d’El Alamein ou de la guerre de Dahis et Ghabra — comme si l’avenir de la planète entière en dépendait.
Dans la Békaa et le Sud, l’attention se concentre sur la capacité du duo chiite — Hezbollah et Amal — à afficher son unité et sa popularité, face aux pressions internationales, régionales et locales qui tentent de le pousser à désarmer et à diaboliser la culture de la résistance qu’il défend, en réaction à l’arrogance israélienne soutenue sans limites par les États-Unis.
Et pourtant, tout cela n’a peut-être que peu d’importance.
Car tant que les municipalités resteront soumises aux mêmes lois désuètes — chargées de collecter les taxes sans bénéficier réellement du fonds municipal indépendant —, ces élections resteront vaines si elles ne s’accompagnent pas d’une véritable décentralisation administrative et financière.
Une réforme qui ferait des municipalités de réels gouvernements locaux, dotés d’une autonomie financière leur permettant d’investir dans leur développement, seules ou au sein d’une fédération de municipalités.
Mais ce projet reste aujourd’hui difficile à concrétiser. Bien que la décentralisation soit inscrite dans l’Accord national et donc dans la Constitution, les avis divergent encore fortement. Le centralisme domine toujours : accaparement des ressources de l’État, partage du pouvoir entre familles et féodalités historiques, incarnation d’un « État profond » qui contrôle le pays depuis des décennies. En face, quelques forces plaident pour une décentralisation authentique, permettant à chaque région, district ou même village de se relever par ses propres moyens, après avoir réglé ses dus envers l’État central.
Être maire — ou membre du conseil municipal — n’est ni un privilège ni un titre honorifique. Ce n’est pas pour se faire appeler « réïs ». C’est une responsabilité publique, souvent plus lourde que celle d’un député ou d’un ministre.
Et il ne s’agit pas non plus de suivre le conseil ironique des frères Rahbani, chanté par Fairouz : « Votre municipalité est généreuse, elle invite tous les jours ; nourris-les à tes frais, tu gagneras leur popularité. » Les Libanais ne sont pas mendiants à la table du pouvoir. Leur dignité n’est ni à vendre ni à acheter.
Une fois la loi municipale réformée, le maire devra être vu comme le chef d’un pouvoir exécutif local — un véritable gouvernement local. Ses électeurs sont les citoyens de ce « petit État » dans l’État. Qu’il agisse en conséquence.
Sinon, pour reprendre encore les Rahbani : « Il ne lui reste plus qu’à faire frire des pommes de terre et les servir dans un plat. »