Les scissions, les exclusions et l’héritage politique sont des phénomènes familiers de la vie partisane à travers le monde, et le Liban n’y fait pas exception. Mais jamais auparavant on n’avait vu quatre députés en exercice, rejoints par d’anciens parlementaires et des cadres du parti, faire défection ensemble comme ce fut le cas au sein du Courant Patriotique Libre. Que le quatuor parlementaire — Ibrahim Kanaan, Elias Bou Saab, Alain Aoun et Simon Abi Ramia — ait démissionné ou ait été écarté importe peu : le résultat est le même. Le député Gebran Bassil a renforcé sa mainmise sur la direction du parti, avec la bénédiction de son beau-père fondateur du mouvement, le général Michel Aoun.

Le véritable test de l’impact de cette rupture, sur le plan populaire, notamment dans les circonscriptions du quatuor — Kesrouan-Jbeil, Metn et Baabda —, aura lieu lors des élections législatives prévues au printemps 2026. Le déclin du CPL n’est pas nouveau : il s’érode progressivement depuis 2005, année où il avait réalisé un véritable « tsunami » en raflant près de 70 % des voix chrétiennes et en devenant le plus grand bloc parlementaire. Les raisons de cette chute tiennent à son expérience du pouvoir depuis l’élection du général Michel Aoun à la présidence de la République, ainsi qu’à des choix politiques en décalage avec la trajectoire historique du composant chrétien. Les exemples abondent, du « pacte de Mar Mikhaël » conclu avec le Hezbollah, à la soi-disant « Alliance des minorités » enveloppée du discours de la « chrétienté orientale » aux côtés du régime Assad en Syrie, jusqu’à l’« axe de la résistance » aujourd’hui à bout de souffle.

L’attention se porte désormais non seulement sur la capacité de chacun des quatre à retrouver un siège au Parlement, mais aussi sur le nombre de voix qu’ils obtiendront face aux candidats officiels du CPL. La plupart de ces voix proviendront sans doute de la base traditionnelle du mouvement ; si leurs scores sont élevés, cela traduira la colère d’une partie de l’électorat contre leur exclusion ou leur départ forcé.

Le général Michel Aoun mène aujourd’hui personnellement une bataille pour empêcher le retour du quatuor au Parlement et freiner son influence populaire. Après avoir déjà assuré la « succession politique » de Bassil et préparé son accession à la tête du CPL, Aoun cherche à obtenir un nouveau « feu vert » populaire qui confirmerait cet héritage et ralentirait le déclin continu du parti, perceptible lors des scrutins de 2009, 2018 et 2022. Il rejoue ainsi le scénario de 2018, celui du fameux « Je suis Chamel et Chamel est moi », lorsqu’il s’était rendu à Kesrouan à la veille du scrutin pour soutenir la candidature de son gendre, le général Chamel Roukoz, oubliant qu’il était alors président de la République.

« Je suis Gebran et Gebran est moi » semble désormais être le slogan des élections de 2026 pour le courant aouniste. Le général Aoun cherche à mobiliser le plus largement possible la base du CPL afin d’assurer à Bassil le soutien populaire le plus large. Sa participation fréquente aux tournées régionales hebdomadaires de Bassil s’inscrit clairement dans cette stratégie.

Ce contexte éclaire la publication d’Aoun sur la plateforme X le 10 novembre 2025 : « Certains de ceux qui ont été exclus du mouvement, ou qui ont démissionné par anticipation, prétendent être en désaccord avec la direction tout en gardant de bonnes relations avec moi. La vérité est que j’ai présidé le Conseil des sages qui a statué sur leur expulsion, en raison de leur rupture avec les politiques, le règlement et les principes du mouvement que j’ai moi-même instaurés. Je ne peux pas entretenir de bonnes relations avec ceux qui ont trahi le mouvement et ses valeurs. »

L’accusation de « trahison » du mouvement et de ses principes équivaut à un arrêt politique dans les urnes, privant le quatuor de l’un de ses principaux arguments — celui de rester aouniste par principe et par conviction, tout en s’opposant seulement à la gestion de Bassil. Ce duel électoral s’intensifiera à mesure que les législatives de 2026 approchent. Pour le CPL, faire tomber le quatuor est désormais une priorité plus importante encore que sa rivalité continue avec les Forces libanaises.

Les prochaines élections permettront de mesurer puis de comparer le poids réel du quatuor et celui du CPL, indépendamment des alliances, des listes ou des seuils électoraux. Le scrutin de 2022 avait montré, malgré les consignes internes du CPL en faveur de certains de ses candidats, qu’aucun d’eux n’avait atteint le quotient électoral dans les trois circonscriptions — contrairement aux Forces libanaises, dont les députés Pierre Bou Assi, Melhem Riachi et Ziad Hawat avaient tous dépassé ce seuil. En fin de compte, le verdict sur la véritable force populaire du CPL et sur les conséquences de la défection du quatuor viendra des urnes — et le printemps approche à grands pas.